2025 restera dans les annales comme l’année où l’ESG (Environnement, Social, Gouvernance) est enfin entré dans le vocabulaire officiel des grandes entreprises tunisiennes. La Bourse de Tunis, Délice Holding, BH Bank et la SFBT ont toutes rendu publics leurs rapports ESG, affirmant vouloir aligner leur gouvernance sur les standards internationaux. Mais au-delà des communiqués soignés et des chiffres flatteurs, une question s’impose : assiste-t-on à une transformation en profondeur ou à un simple exercice de communication ?
Des premières publications qui donnent le ton
La Bourse de Tunis a ouvert le bal en mai avec son tout premier rapport ESG. Axé sur quatre piliers – employeur responsable, éthique et gouvernance, développement durable et préservation de l’environnement – le document se veut exemplaire. La bourse met en avant sa triple certification ISO, sa lutte contre la corruption et son engagement en faveur de l’inclusion financière. Un signal fort : même l’institution chargée de réguler et dynamiser le marché donne l’exemple.
Peu après, Délice Holding a publié son rapport ESG couvrant l’exercice 2024. Un exercice attendu pour un groupe agroalimentaire exposé aux critiques sur l’empreinte carbone de la chaîne logistique et la dépendance énergétique. *BH Bank*, en juillet, a marqué l’histoire en devenant la première banque publique à publier un tel rapport, affichant sa volonté de se rapprocher des standards internationaux du secteur bancaire. Enfin, en août, la SFBT a livré son 10ᵉ rapport ESG, preuve de la continuité d’une démarche pionnière, même si certains observateurs pointent une communication plus poussée que des résultats tangibles.
Des avancées réelles mais inégales
Ces publications montrent une prise de conscience certaine. La féminisation des postes d’encadrement à la Bourse de Tunis (43 % de femmes managers), l’effort de transparence de BH Bank, ou encore la régularité de la SFBT à publier ses rapports, sont des signaux encourageants.
Mais, dans le détail, la lecture de ces rapports laisse parfois un goût d’inachevé :
*Les données restent souvent qualitatives, peu chiffrées et difficilement comparables.
* Les volets environnementaux sont abordés, mais rarement accompagnés d’objectifs précis ou de plans de réduction mesurables (CO₂, consommation d’énergie, gestion des déchets).
La plupart des entreprises se concentrent sur le social et la gouvernance, laissant le pilier environnemental au second plan, alors même que la Tunisie est fortement exposée aux défis climatiques.
Un risque de “greenwashing”
Le danger est que ces rapports se réduisent à un outil de communication destiné à rassurer les investisseurs et à séduire les bailleurs internationaux, plutôt qu’à transformer en profondeur les pratiques. Plusieurs analystes parlent déjà d’ESG de façade, où l’on coche des cases sans véritable stratégie ni obligation de résultats.
La question de la régulation reste entière : tant qu’aucune autorité indépendante ne vérifie la véracité des engagements ou ne sanctionne les manquements, les entreprises peuvent publier des rapports flatteurs sans être tenues d’en appliquer les recommandations.
Vers une culture ESG authentique ?
Le fait que des acteurs aussi divers que la BVMT, une banque publique, un géant de l’agroalimentaire et un industriel historique s’y engagent montre néanmoins que l’ESG n’est plus perçu comme une option, mais comme un ticket d’entrée sur les marchés mondiaux. Pour exporter, lever des fonds ou attirer des investisseurs étrangers, la conformité ESG devient incontournable.
La Tunisie a donc amorcé un mouvement. Mais pour éviter que l’ESG ne reste un simple effet de mode, il faudra franchir une étape cruciale : passer de la déclaration d’intentions à la mesure d’impact réel**, avec des indicateurs transparents et comparables.
En 2025, la Tunisie a franchi un cap symbolique en matière d’ESG. Mais la crédibilité de cette dynamique dépendra de la capacité des entreprises à aller au-delà de la communication pour engager des transformations profondes. Sans cela, l’ESG risque de rester un slogan vide plutôt qu’un véritable levier de compétitivité et de durabilité.
ABOU FARAH






















