Une atmosphère mitigée à la reprise
Chaque année, le mois de septembre marque en Tunisie une double rentrée : scolaire et économique. Mais en 2025, cette rentrée prend une dimension particulière. Après plusieurs années de turbulence marquées par la crise sanitaire, la sécheresse, la flambée des prix internationaux et l’essoufflement du modèle de financement public, la Tunisie aborde l’automne avec un mélange d’espoir et d’inquiétude.
Les dernières données confirment une croissance faible mais positive, une inflation en décélération, et un assouplissement monétaire inédit. Mais les équilibres demeurent fragiles et la question centrale reste : la Tunisie saura-t-elle transformer ce frémissement en véritable redressement ?
Croissance modeste : un redémarrage timide
Selon la Banque mondiale, la croissance tunisienne devrait atteindre 1,9 % en 2025, contre 1,4 % l’année précédente. L’EBRD table, elle, sur 1,8 %. Les chiffres du premier trimestre confirment cette tendance : une hausse de seulement 1,6 % du PIB en glissement annuel.
Les moteurs de cette reprise sont bien identifiés :
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Une campagne agricole plus favorable, après des années de sécheresse.
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Une saison touristique dynamique, dopée par le retour progressif des marchés européens.
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Un regain de dynamisme dans certains secteurs manufacturiers orientés export, notamment les composants automobiles et l’électronique.
Mais les freins demeurent lourds :
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Une consommation intérieure en berne, plombée par la baisse du pouvoir d’achat.
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Des investissements privés atones, en raison du climat des affaires et de l’incertitude politique.
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Des finances publiques sous pression, limitant la marge de manœuvre de l’État pour soutenir la croissance.
Ainsi, cette reprise reste « technique », sans réelle transformation structurelle.
Inflation en baisse : un bol d’air pour les ménages
Après avoir culminé à plus de 10 % en 2022, l’inflation tunisienne poursuit sa décrue. En avril 2025, elle s’établissait à 5,6 %, son plus bas niveau depuis quatre ans.
La bonne nouvelle vient de la détente sur l’énergie et certaines matières premières. Toutefois, l’inflation alimentaire reste élevée, à près de 7,3 %, nourrie par les tensions sur l’offre locale et la dépendance aux importations.
Cette accalmie a permis à la Banque centrale de Tunisie (BCT) de desserrer légèrement l’étau. En mai, elle a abaissé son taux directeur de 8 à 7,5 %, une première depuis deux ans.
L’institution reste néanmoins prudente. De nouvelles baisses pourraient intervenir à l’automne, mais elles seront progressives. Car le spectre d’un retour des tensions sur les prix plane toujours, notamment en cas de chocs extérieurs (hausse du pétrole, flambée des céréales, dépréciation du dinar).
Des finances publiques toujours sous tension
Le déficit budgétaire tunisien demeure élevé, autour de 6 % du PIB. La dette publique continue de croître, avoisinant les 85 % du PIB, un seuil jugé préoccupant pour un pays émergent sans accès régulier aux marchés financiers internationaux.
Privé de financements extérieurs massifs en raison de négociations difficiles avec le FMI, le gouvernement tunisien a intensifié son recours à :
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La dette intérieure, dont l’encours a doublé en deux ans, fragilisant la liquidité bancaire.
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Des solutions alternatives, comme les sukuk (obligations islamiques) pour diversifier les sources de financement.
Cette stratégie comporte des risques : l’assèchement de la trésorerie des banques, déjà sollicitées pour financer l’État, et la montée des créances douteuses.
La rentrée de septembre sera décisive : la loi de finances complémentaire pourrait intégrer de nouvelles mesures fiscales, au risque de peser davantage sur les entreprises et les ménages.
Des réformes structurelles encore attendues
Au-delà des équilibres budgétaires, la Tunisie a besoin de réformes profondes pour relancer durablement son économie. Plusieurs chantiers sont sur la table :
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La modernisation du secteur bancaire, avec la digitalisation des services, le renforcement des fonds propres et une meilleure gouvernance des banques publiques.
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La réforme des entreprises publiques, dont le poids budgétaire reste considérable, à commencer par la STEG (électricité et gaz) et la STIR (raffinage).
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L’amélioration du climat des affaires, souvent cité comme l’un des principaux freins aux investissements étrangers.
Le gouvernement s’est engagé à accélérer ces réformes, mais leur mise en œuvre reste tributaire d’un consensus politique et social difficile à atteindre.
Les atouts de la rentrée : phosphates, ports et tourisme
Malgré ce contexte fragile, plusieurs leviers pourraient dynamiser la rentrée 2025 :
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Phosphates : la Tunisie vise une production de 14 millions de tonnes d’ici 2030, contre moins de 4 millions en 2024. Ce secteur, jadis fleuron de l’économie, pourrait redevenir un moteur de croissance et un contributeur majeur aux recettes en devises.
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Connectivité portuaire : un rapport de la Banque mondiale estime qu’une modernisation logistique des ports pourrait apporter un gain de 4 à 5 points de PIB en quatre ans.
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Tourisme : le secteur connaît une embellie, porté par le retour des touristes européens et la diversification vers de nouveaux marchés (pays du Golfe, Europe de l’Est).
Ces trois piliers – ressources naturelles, infrastructures et services – représentent des opportunités de court et moyen terme, à condition d’être accompagnés d’une gouvernance solide et d’investissements ciblés.
Une rentrée sous le signe de l’incertitude mondiale
La conjoncture internationale pèse lourd sur les perspectives tunisiennes. Trois facteurs externes dominent :
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La volatilité des prix de l’énergie et des céréales, dont la Tunisie dépend fortement.
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Les fluctuations du dinar, influencées par les réserves de change et la balance des paiements.
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Les tensions géopolitiques en Méditerranée et au Sahel, qui peuvent impacter le commerce et la sécurité régionale.





















