D’habitude la vraie formule est « quand le bâtiment va…tout va ». Une formule lancée au 19ème siècle par un maçon nommé Martin Nadaud, qui est devenu député puis préfet. La signification de cette formule est que la construction entraine avec elle plusieurs secteurs et constitue un levier de croissance important. A la lumière de l’analyse des chiffres de l’économie tunisienne publiés dans le rapport annuel de la BCT, et les résultats des principaux acteurs de la grande distribution en Tunisie, on peut affirmer, sans aucun doute que « quand la consommation va…tout va ». Mais ce constat comporte des risques importants.
La consommation privée tire la croissance :
Selon le rapport annuel de la BCT de 2024, « l’activité économique a été essentiellement tirée par la demande intérieure, qui a constitué le principal moteur de la croissance » en 2024.
En effet, la consommation nationale a progressé de 1,6% (contre +1,4% en 2023), tirée principalement par la consommation privée (+1,7% contre +1,5%) soutenue par le recul de l’inflation et la poursuite de la hausse des salaires.
La consommation privée qui représente 77% du PIB a progressé de 1,7%, aux prix constants (contre 1,5% en 2023), et de 9% aux prix courants (contre +10,9%). En termes chiffrés, la consommation privée a totalisé 128.492 Millions de dinars en 2024.
La propension moyenne à consommer, qui est le résultat de la consommation/Revenu Disponible Brut des Ménages, c’est-à-dire ce qu’ont consacré les ménages tunisiens à la consommation de tous leurs revenus, a augmenté passant de 94.6 en 2023 à 95.4 en 2024. Cette consommation a été entre autres, boosté par les crédits à la consommation. En effet, l’encours des crédits à la consommation octroyés par les banques aux particuliers a augmenté de 3.5% en 2024 contre 2.9% en 2023. Il totalise 16393 Millions de dinars.
Les principaux acteurs de la consommation tirent leur épingle du jeu :
Les principaux acteurs de la consommation sont côtés sur la bourse de Tunis. C’est ainsi que pour l’année 2024, le secteur des Services aux Consommateurs a enregistré une forte progression de 73,8 % de son résultat global, se plaçant comme le secteur le plus performant parmi les neuf secteurs côtés. Cela est en partie dû à l’amélioration significative du résultat des enseignes de la grande distribution (Monoprix et Magasin Général), qui sont passées d’un déficit de 41 MD en 2023 à un déficit réduit de 3 MD en 2024.
Pour les concessionnaires automobiles cotés (hors UADH qui n’a pas encore publié ses états au titre de 2024), le résultat global a progressé de 22,8% pour se situer à 125MD contre 102MD durant l’exercice 2023.
En détail, le groupe Magasin Général repasse bénéficiaire pour la première fois depuis 2019. Selon les résultats semestriels du groupe arrêtés au 30 juin 2025, le groupe affiche un résultat net de 0,42 million de dinars, contre une perte de 8,6 millions l’an dernier.
La société Magasin Générale a réalisé un chiffre d’affaires (HT) de 1 041,4 MDT au 31 décembre 2024, contre 984,5 MDT en 2023, correspondant à une progression de 5,78 %. La chaîne de grande distribution a dégagé un résultat net déficitaire de 3,7 MDT en 2024 contre un résultat net déficitaire de 34 MDT durant l’exercice 2023.
Du côté du groupe Monoprix (SMVT) au terme du premier semestre 2025 a dégagé un bénéfice net de 0,819 MTND, contre une perte de 3,242 MTND à la même période en 2024. Le chiffre d’affaires a atteint 383,290 MTND, en hausse de 12,9% en glissement annuel. La marge commerciale s’est établie à 65,618 MTND, enregistrant une progression de 8,8% par rapport à juin 2024. Sur toute l’année 2024, le groupe a réalisé un chiffre d’affaires HT individuel de 732,6 MD soit une augmentation de 7.1% par rapport à l’année 2023.
Quant au groupe Ulysse Distribution, propriétaire de l’enseigne carrefour, les résultats pour 2024 n’ont pas été encore publiés par le tenant de l’enseigne carrefour France. Mais les résultats de Carrefour Tunisie enregistrent depuis des années de belles performances. :
Les magasins Carrefour en Tunisie ont réalisé un bénéfice net de 30 millions de dinars à la fin de l’exercice 2022 soit une augmentation de 12,5 % par rapport à 2021, où la société avait réalisé un bénéfice net de 25 millions de dinars. Le chiffre d’affaire réalisé en 2022 a atteint 1,25 milliard de dinars. En 2023, les résultats du groupe ont continué sur cette lancée, avec un chiffre d’affaire en progression de 13% et une hausse de la part de marché de 1.5 point. Quant au bénéfice net il a enregistré une hausse de 10%. Le groupe a réalisé un CA de 1.3 milliards de dinars soit 363 millions d’euros et un résultat net de 9 millions d’euros soit plus de 29 Millions de dinars (selon les états financiers du groupe carrefour France). Pour 2024 et 2025, les résultats d’Ulysse Distribution risquent d’enregistrer une baisse considérable sous l’effet de l’appel au boycott par des associations en protestation à la guerre à Gaza.
La chaine de magasins AZIZA, fondée en 2014 et dirigée par Ghassen Slama, et qui développe un plan d’affaire discount, n’a pas cessé ces dernières années de développer son réseau. La chaine compte aujourd’hui plus de 532 points de vente avec une superficie totale de vente de plus de 80.000 m² répartis sur tout le territoire tunisien, et plus de 2.500 employés.
Les résultats financiers de la chaine ne sont pas publiés, mais l’expansion territoriale du groupe témoigne d’une évolution constante.
Ces principaux acteurs, représentent aujourd’hui plus de 35% de la distribution en Tunisie contre 20% en 2009. Une part qui n’a pas cessé d’augmenter durant les dernières années.
Le développement de la distribution organisée en Tunisie a contribué nettement à la hausse de la consommation privée sous l’effet du marketing et des offres commerciales.
La bonne santé des principaux acteurs de la consommation en Tunisie, confirment que les tunisiens sont dans une situation de frénésie acheteuse, et c’est grâce à ce comportement que la croissance est au rendez-vous.
La consommation : opportunité et dangers :
Le mode de consommation des tunisiens est en train de subir des changements importants boostés principalement par le développement du digital et principalement du marketing digital. Les mutations concernent aussi la part très importante qu’est e train de prendre les dépenses alimentaires. En effet, selon les derniers chiffres de l’INS issus de l’enquête consommation de 2021, les dépenses alimentaires accaparent à eu seul plus de 35% du budget (leur part était de 26% en 2010). C’est un niveau très élevé en comparaison avec d’autres économies, et qui traduit principalement une hausse de l’inflation et une détérioration du pouvoir d’achat.
Les services prennent aussi une place importante dans le budget des tunisiens et principalement l’éducation, la santé, la téléphonie mobile et l’internet. De son côté le développement du commerce en ligne, et principalement le mode « paiement à la livraison », a développé de nouvelles habitudes de consommation chez les ménages tunisiens.
Le développement de la consommation privée en Tunisie, certes tire jusqu’à présent la croissance économique, mais regorge aussi de menaces sur l’économie nationale. En effet, une montée de la croissance privée, face à un appareil productif national en berne, booste principalement les importations de biens de consommation et concurrence le tissu industriel local. Ceci va créer une dépendance excessive aux marchés extérieurs.
Sur un autre plan, la montée de la consommation, réduit drastiquement l’épargne des ménages. Selon les chiffres de la BCT, et comme déjà mentionné plus haut, la propension marginale à consommer a augmenté de presque 1% entre 2023 et 2024 enregistrant 95.4%.
Il faut aussi mentionner qu’une consommation dépendante de l’étranger ou du secteur informel, et sous l’effet des pressions inflationnistes demeure très fragile face aux chocs internes et externes, et risque de chuter brusquement et créer une décroissance grave.
Certes la consommation privée aujourd’hui tire la croissance économique, sous l’effet de la recherche des tunisiens à mieux vivre et améliorer leurs conditions de vie, mais le gouvernement doit travailler sur les autres leviers à savoir l’investissement et l’exportation.
ABOU FARAH





















