Tunis, Octobre 2025 – Alors que l’indice TUNINDEX affiche une performance remarquable en 2025, la Bourse de Tunis (BVMT) navigue dans un environnement complexe, tiraillée entre des résultats encourageants et des défis structurels profonds. Les récentes déclarations de M. Moez Hadidan, intervenant sur les dernières actualités boursières, jettent une lumière crue sur les mécanismes, les réussites et les vulnérabilités du marché financier tunisien.
L’inscription en Bourse : une décision qui reste entre les mains des actionnaires
Contre une idée reçue, l’introduction en Bourse n’est pas un processus automatique. M. Hadidan a rappelé avec force que cette démarche doit être initiée par les actionnaires principaux d’une entreprise. Si le climat économique peut être incitateur, une frilosité persiste, notamment au sein des sociétés familiales. « La réticence à divulguer leur situation financière fait de la transparence l’un des principaux défis à surmonter », a-t-il souligné.
L’expérience du marché alternatif, conçu pour les PME, en est une illustration. Son premier chapitre a été difficile, avec plus de 70% des sociétés inscrites qui n’étaient pas éligibles, conduisant à une refonte législative en 2019. Le nouveau marché alternatif qui en a découlé attend toujours sa première introduction, tandis que les anciennes sociétés ont été migrées vers le marché principal, désormais placé sous la surveillance renforcée d’un « Group of Supervision ».
Avec 75 sociétés cotées pour une capitalisation totale de 30 milliards de dinars, le marché tunisien affiche un retard significatif. Le comparatif avec le voisin marocain est sans appel : ce dernier affiche une capitalisation cinq fois supérieure, malgré un nombre d’entreprises cotées moins important.
TUNINDEX en hausse : une performance en trompe-l’œil ?
Cette faiblesse structurelle n’a pourtant pas empêché le TUNINDEX d’enregistrer, depuis le début de l’année, une hausse spectaculaire de 27,9%, son troisième meilleur résultat annuel historique. Les secteurs bancaire, immobilier et industriel portent cette dynamique. Cependant, cette performance boursière masque des réalités entrepreneuriales parfois fragiles, comme en témoignent les cas des groupes SOMOCER et SOTumail.
Ces deux sociétés, ayant enregistré des résultats négatifs en 2024, ont dû procéder à des opérations de réévaluation de leurs actifs fixes pour se conformer à la loi. « Toute entreprise dont les fonds propres tombent en dessous de 50% du capital social doit les renforcer », a rappelé M. Hadidan. SOMOCER a ainsi réévalué six terrains pour 30 millions de dinars, tandis que SOTumail a créé une valeur ajoutée de 23 millions de dinars via une opération similaire sur ses usines et installations.
Tunisair : une obligation à haut risque pour sauver la compagnie nationale
L’actualité la plus marquante reste sans conteste l’émission obligataire de Tunisair. Pour faire face à ses engagements financiers, la compagnie a obtenu l’accord de son Assemblée Générale pour émettre une obligation de 150 millions de dinars. Une opération vitale, selon M. Hadidan, mais qui n’est pas sans danger.
La première phase, une émission privée de 30 millions de dinars, a collecté 24,25 millions. Le reste du montant sera levé en quatre tranches jusqu’en mars 2026, avec des caractéristiques inédites sur le marché tunisien : un taux d’intérêt de 10%, un remboursement sur 7 ans, avec des intérêts payés mensuellement et le capital remboursé annuellement.
« Le succès de cette opération dépend de la surveillance par les banques et les investisseurs », a insisté M. Hadidan, mettant en garde contre une utilisation qui se limiterait à couvrir les dépenses quotidiennes au lieu de servir véritablement le transport national.
Une restructuration préalable aurait été préférable
L’expert a émis de sérieuses réserves sur la séquence choisie. « L’option la plus sûre aurait été de restructurer d’abord la compagnie avant d’ouvrir l’inscription », a-t-il affirmé, jugeant que l’entreprise pourrait perdre de l’argent si l’opération n’est pas parfaitement gérée. Il a aussi pointé du doigt la réticence probable de certaines banques, freinées par les risques élevés et les responsabilités imposées par l’article 96 de la loi bancaire.
Malgré ces risques, M. Hadidan a confirmé que la décision était une volonté politique, prise au plus haut niveau gouvernemental et par le ministre du Transport. Les responsables, disposant selon lui des informations nécessaires, ont choisi de soutenir Tunisair pour lui permettre de surmonter ses difficultés immédiates.
En conclusion, la Bourse de Tunis présente un visage dual : un marché qui performe mais qui peine à se densifier, des entreprises qui se reforment dans l’urgence, et un sauvetage national qui s’apparente à un pari financier. L’année 2025 sera-t-elle celle du décollage ou celle des prises de risque excessives ? La réponse se jouera dans la capacité des acteurs à allier performance et prudence.





















