Depuis des mois, un débat très dur est ouvert en France sur l’adoption de la taxe Zucman dans le prochain budget 2026. Une taxe qui divise la classe politique française, mais qui mérite d’être étudiée.
Une taxe qui fait polémique :
La polémique oppose les partis de la Gauche et de l’extrême gauche, favorables à cette taxe pour plus de justice sociale et réduire le déficit budgétaire, et de l’autre côté les partis de droite et d’extrême droite, opposés à cette idée et qui jugent qu’elle va bloquer l’investissement et générer la fuite des grandes fortunes. Le débat s’est intensifié avec l’implication directe de certaines fortunes françaises telles que Bernard Arnault, PDG de LVMH, qui a qualifié l’application de cette taxe sur les plus riches mettra « l’économie française à terre ».
La taxe Zucman s’intègre dans une logique d’équité fiscale, qui est une notion au cœur des débats nationaux et internationaux. Cette taxe, idée de l’économiste français Gabriel Zucman, professeur à l’Université de Californie à Berkeley, défend une idée d’instaurer un impôt minimum sur les ultra-riches afin de lutter contre l’évasion fiscale et de garantir que les plus aisés contribuent équitablement à l’effort national. Le seuil minimum d’imposition proposé est de 2 % de la fortune mondiale que les milliardaires seraient tenus de payer, quel que soit leur taux d’imposition réel sur le revenu ou sur les sociétés. Si leurs impôts actuels sont inférieurs à ce minimum, une contribution supplémentaire serait exigée. L’idée a été présentée au sommet du G20 au mois de Juin 2024, et l’économiste avait calculé un rendement de 200 à 250 milliards de dollars des 3000 milliardaires dans le monde.
Alors que ce concept gagne du terrain en Europe et s’implante aux États-Unis, une question pertinente se pose : la Tunisie pourrait-elle adopter une version adaptée de la taxe Zucman ? Avec une crise budgétaire persistante, une dette publique substantielle et des disparités sociales croissantes, la Tunisie aurait sans doute intérêt à explorer des pistes innovantes en matière de financement public à quelques jours de l’examen du budget de l’Etat pour 2026. L’idée de cette taxe s’intègre aussi dans le droit chemin de l’orientation annoncée par le président de la République pour l’instauration de « l’Etat social »
Cependant, la mise en œuvre d’une telle taxe n’est pas une mince affaire. Elle constitue une entreprise complexe englobant des dimensions économiques, juridiques, administratives et politiques.
Pourquoi la Tunisie a besoin d’une « taxe Zucman »
L’idée d’une telle taxe n’est pas fortuite. En effet, la Tunisie passe par une crise budgétaire persistante. Depuis plus d’une décennie, la Tunisie est accablée par un déficit budgétaire structurel. Le gouvernement peine à financer adéquatement les services publics essentiels, y compris les soins de santé, l’éducation, les infrastructures et les subventions. La dépendance aux emprunts extérieurs et intérieurs est devenue pratiquement constante.
S’ajoute à cette situation, les disparités de richesse qui était depuis longtemps sous-estimées. Bien qu’il n’existe pas de données officielles sur la répartition de la richesse et les riches en Tunisie, tout le monde est certain qu’il existe beaucoup de tunisiens qui ont une fortune de plusieurs dizaines de millions de dinars, que ce soit en espèce ou en patrimoine ou en actions.
Ces actifs substantiels échappent largement à l’imposition en raison de régimes fiscaux préférentiels, de structures juridiques opaques et des ressources limitées de l’administration fiscale.
L’application d’une telle taxe en Tunisie, n’a pas pour objectif de pénaliser ceux qui réussissent mais simplement de rétablir l’équité fiscale. En effet, l’impôt Zucman ne vise pas la classe moyenne ou les entrepreneurs ordinaires, mais plutôt les ultra-riches. L’objectif premier est d’atténuer le sentiment d’injustice qui érode la cohésion sociale et d’envoyer un message fort: « Les plus riches doivent contribuer à la hauteur de leur richesse ».
Qui paiera et sur quoi ?
Zucman préconise de déterminer un niveau de fortune bien défini pour chaque pays selon sa réalité économique. En France, la proposition est de taxer ceux qui ont une fortune de plus de 100 millions d’euros, au niveau mondial, l’idée était de taxer ceux ayant une fortune de plus d’1 milliards de dollars. En Tunisie, ce seuil serait disproportionné, car il ne toucherait presque personne. Par conséquent, l’adaptation au contexte local est cruciale.
Un seuil réaliste pourrait être fixé autour de 50 millions de dinars tunisiens de patrimoine net global. Cela ciblerait, au maximum, quelques dizaines de foyers, mais permettrait de capter une partie de la richesse concentrée au sommet.
Les actifs à inclure dans l’évaluation comporterait les résidences, terrains, propriétés locatives, actions, obligations, dépôts bancaires, participations dans des entreprises, les voitures de luxe, les yachts,….. Le principe est simple: on calcule la valeur du patrimoine, on applique un taux d’imposition minimum (par exemple 2%), puis on compare ce montant avec les impôts déjà payés (impôt sur le revenu, impôt sur les sociétés, impôts locaux). Si le total est inférieur, la différence est due à l’État. Le succès de la taxe Zucman repose sur la mise à jour régulière des registres et des bases de données du ministère des finances et de la propriété foncière, et le RNE.
La loi des finances 2025 a déjà instauré un impôt sur la fortune mobilière. On ne sait pas jusqu’à présent combien il a rapporté. On peut envisager de remplacer cet impôt par la taxe Zucman.
Pour la réussite d’un tel projet la Direction Générale des Impôts (DGI) doit établir une unité spécialisée « individus à haute valeur fiscale » avec des experts financiers et juridiques capables de suivre des actifs complexes. De son côté le gouvernement doit clarifier que la taxe ne vise pas la classe moyenne ou les PME, mais uniquement les ultra-riches.
Il est important aussi d’annoncer que les recettes de la taxe financeront des projets visibles: hôpitaux, écoles, infrastructures régionales. Cela renforcera le soutien du public.
La Taxe Zucman n’est pas une solution universelle, mais elle constitue une innovation fiscale significative qui pourrait renforcer la justice sociale et donner un coup de pouce aux finances publiques de la Tunisie. Son succès dépendra de trois conditions clés :
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Un cadre juridique robuste et bien expliqué et détaillé,
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Le Renforcement des ressources administratives pour identifier et évaluer les grandes fortunes.
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Une volonté politique claire et résolue, capable de faire face aux résistances des élites économiques, et à ce niveau le président de la République ne manque pas.





















