La simple évocation du nom d’Yitzhak Rabin provoque encore aujourd’hui un mélange puissant de nostalgie, d’espoir brisé et de questionnement douloureux en Israël et au-delà. Vingt-neuf ans après son assassinat par un extrémiste juif qui voulait tuer le processus de paix, l’ombre du dernier Premier ministre à avoir mené une réconciliation historique avec les Palestiniens plane toujours sur la vie politique israélienne. Alors que la région traverse l’une de ses périodes les plus sombres et les plus polarisées, une question urgente se pose : Israël peut-il encore trouver un nouveau Rabin ?
La réponse n’est pas simple. Elle oscille entre un pessimisme profond et l’espoir têtu que les circonstances finissent par faire émerger les leaders dont l’Histoire a besoin.
Le modèle Rabin : Un profil introuvable ?
Pour savoir si un nouveau Rabin peut émerger, il faut d’abord comprendre ce qui faisait de lui une figure unique :
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Une légitimité « de faucon » transformée en « colombe » : Rabin n’était pas un pacifiste idéaliste. C’était un général, un chef de l’armée durant la guerre des Six Jours, un homme dur perçu comme un « faucon ». Cette crédibilité sécuritaire lui a donné une marge de manœuvre immense pour engager des pourparlers de paix avec l’OLP, un organisme alors considéré comme terroriste par la plupart des Israéliens. Il pouvait dire à sa nation : « Je ne ferai jamais rien pour mettre en péril notre sécurité », et être cru. Aujourd’hui, la classe politique est clivée : la gauche est largement discréditée sur les questions sécuritaires depuis la Seconde Intifada, et la droite, au pouvoir depuis près de deux décennies, s’est enfoncée dans un nationalisme inflexible.
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Une volonté de prendre un risque monumental pour la paix : Rabin, aux côtés de Shimon Peres, a fait le pari audacieux que la paix avec les Palestiniens, même imparfaite, était un impératif stratégique pour l’avenir d’Israël. Cela signifiait affronter une opposition violente, des manifestations haineuses et des menaces de mort. Le climat politique actuel est si toxique et polarisé que tout geste de compromis est immédiatement stigmatisé comme une trahison. La fenêtre d’opportunité pour prendre ce genre de risque politique semble hermétiquement close.
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Un partenaire, aussi imparfait fût-il : Le processus d’Oslo a fonctionné parce qu’il y avait, en face, un partenaire en la personne de Yasser Arafat, qui, malgré ses ambiguïtés, avait l’autorité pour s’engager au nom des Palestiniens. Aujourd’hui, la division entre le Hamas à Gaza et l’Autorité Palestinienne affaiblie en Cisjordanie rend presque impossible l’identification d’un interlocuteur unique et légitime avec lequel négocier un accord global.
Les obstacles monumentaux sur la voie d’un nouveau Rabin
Le Israël de 2024 est radicalement différent de celui de 1993.
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Un paysage politique fracturé : La société israélienne est profondément divisée. Le gouvernement actuel repose sur une coalition qui inclut des partis d’extrême droite et religieux ultranationalistes, farouchement opposés à toute concession territoriale ou à l’idée même d’un État palestinien.
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Le traumatisme du 7 octobre 2023 : L’attaque barbare du Hamas a anéanti la confiance déjà fragile des Israéliens envers leurs voisins palestiniens. Elle a renforcé la narrative selon laquelle le retrait unilateral (comme celui de Gaza en 2005) mène à la guerre, et non à la paix. Dans ce contexte, le discours sécuritaire et militariste domine totalement.
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L’épée de Damoclès de l’extrémisme : L’assassinat de Rabin a été un traumatisme national qui a montré jusqu’où pouvait aller la haine interne. Aujourd’hui, les menaces contre les politiciens, les juges ou les journalistes jugés trop « modérés » sont monnaie courante. Quel leader aurait le courage de s’exposer à un tel danger dans un climat encore plus violent ?





















