Alors que la compagnie aérienne nationale tunisienne traverse l’une des crises les plus graves de son histoire, la convocation de ses Assemblées Générales pour 2025 afin d’approuver des comptes datant de 2021 en dit long sur les dysfonctionnements profonds qui la rongent. Une situation qui soulève plus de questions qu’elle n’apporte de réponses.
Un Retard Symptomatique d’une Gestion Chaotique
Le premier point à l’ordre du jour de l’Assemblée Générale Ordinaire (AGO) est, ironiquement, « Entériner le retard de tenue de l’assemblée générale ». Cette formulation, qui semble acter une fatalité, est en réalité la première pierre d’un édifice critique.
Tenir en septembre 2025 une assemblée pour approuver les comptes de l’exercice 2021 représente un délai de près de quatre ans. Ce retard n’est pas anodin ; il est illégal au regard du droit des sociétés tunisien, qui impose normalement la tenue de l’AGO dans les six mois suivant la clôture de l’exercice. Ce décalage colossal prive les actionnaires et le public d’une information financière fiable et actuelle, les empêchant de prendre des décisions éclairées sur la santé réelle de l’entreprise. Comment peut-on piloter une compagnie aérienne, un secteur où la situation évolue quotidiennement, sur la base de données vieilles de quatre ans ?
2021 en 2025 : Une Photographie Fantôme
Les points 2 à 6 de l’AGO concernent exclusivement l’année 2021. Il est crucial de se remémorer le contexte de cette période : le monde entier et le transport aérien en particulier étaient paralysés par la pandémie de COVID-19. Sans surprise, les comptes de 2021 devraient refléter des pertes abyssales.
Approuver ces comptes aujourd’hui revient à valider une histoire ancienne dont tout le monde connaît déjà la conclusion tragique. Cette démarche, bien qu’obligatoire d’un point de vue comptable, semble être une formalité vide de sens. La vraie question que tout actionnaire devrait poser est : où sont les comptes de 2022, 2023 et 2024 ? Leur absence totale du programme est le signe le plus inquiétant d’un blocage complet de la machine administrative et financière.
Entre Quitus et Renouvellement : La Question de la Responsabilité
Les points 7, 8 et 9 prévoient de donner « quitus aux administrateurs » et de renouveler ou nommer des membres au Conseil d’Administration. Donner un quitus – un acte de discharge qui valide la gestion passée – à des administrateurs pour des exercices aussi anciens et nécessairement déficitaires est pour le moins paradoxal.
Les actionnaires sont en droit de demander des comptes sur la stratégie adoptée depuis 2021 pour redresser la société. Le renouvellement des mandats doit être l’occasion d’un débat approfondi sur la responsabilité de la gouvernance actuelle dans la situation présente, et non une simple formalité de routine.
L’Assemblée Extraordinaire : L’Ombre de la Dissolution
Le point le plus alarmant est sans contenu caché dans l’ordre du jour de l’Assemblée Générale Extraordinaire (AGE) : « Décision de continuer l’activité de la société ».
Ce point, technique en apparence, est en réalité gravissime. Il signifie que la continuité d’exploitation de Tunisair – un principe comptable fondamental – est remise en question. Les commissaires aux comptes ont très probablement émis des doutes sur la capacité de l’entreprise à poursuivre son activité, ce qui oblige légalement les dirigeants à soumettre cette question au vote des actionnaires.
Mettre aux voix la « décision de continuer » est un aveu de détresse extrême. Cela place les actionnaires devant un choix cornélien : acter une poursuite d’activité dans une situation financière intenable ou envisager l’impensable : la cessation des paiements et une liquidation.
Conclusion : Une Assemblée Vitale pour l’Avenir
Cette convocation n’est pas une simple formalité administrative. C’est l’assemblée de la dernière chance qui se déguise en routine. Elle révèle une entreprise en déroute, naviguant à vue avec des instruments de bord obsolètes.
Les actionnaires, petits et grands, ainsi que les citoyens tunisiens pour qui Tunisair est un symbole national, doivent exiger plus que l’entérinement de retards et de vieux comptes. Ils doivent exiger :
- La transparence sur la situation financière réelle et actuelle.
- Un plan de sauvetage crédible et urgent, au-delà de l’emprunt obligataire évoqué.
- Une gouvernance renouvelée et responsable, capable de conduire des réforms profondes.
Tenir une assemblée avec quatre ans de retard est le symptôme. La guérison, elle, nécessite une thérapie de choc dont les contours restent, pour l’instant, désespérément flous. L’avenir de la compagnie nationale se jouera bien plus dans les mois à venir que dans l’approbation de comptes d’un passé révolu.





















