Tunis, juillet 2025
C’est une opération qui redessine la carte industrielle de l’hygiène en Tunisie. Le groupe Poulina, mastodonte de l’industrie tunisienne, a annoncé la prise de contrôle indirecte de la société SAH Lilas à travers l’acquisition de 45,48 % du capital de JM Holding, elle-même actionnaire de référence de SAH. Mais ce mouvement va bien au-delà d’un simple investissement financier : il marque l’union – ou peut-être la future confrontation – de deux géants évoluant déjà dans le même domaine.
Deux champions dans le même couloir industriel
SAH Lilas est aujourd’hui le leader incontesté de l’hygiène papier (couches, papier hygiénique, serviettes féminines, etc.), avec une forte notoriété au Maghreb et en Afrique subsaharienne. Mais Poulina n’est pas un nouveau venu dans ce secteur. À travers ses filiales Sotupa et Aziza Hygiène, PGH produit déjà des articles similaires, notamment des papiers à usage domestique, des couches pour bébés et des produits d’essuyage professionnel.
L’acquisition pose donc une question stratégique majeure : s’agit-il d’une volonté de consolidation verticale, d’un partage de parts de marché, ou d’une future absorption complète ?
Logiques industrielles croisées : synergies ou cannibalisation ?
Selon plusieurs analystes, l’opération semble d’abord répondre à une logique de rationalisation industrielle :
- Achats groupés (pâtes de cellulose, plastiques, conditionnement) pour baisser les coûts.
- Mutualisation logistique entre les différentes filiales de PGH et les structures de SAH (entrepôts, réseaux de distribution).
- Accès aux marchés extérieurs, notamment les 17 pays où Lilas est déjà présente.
Mais en parallèle, elle soulève aussi des enjeux de redéploiement stratégique : PGH va-t-il fusionner les gammes de produits concurrentes ? Va-t-il repositionner certaines marques (comme Aziza ou Topy) pour ne pas concurrencer Lilas ? Ou encore, optera-t-il pour une spécialisation par segment (haut de gamme vs économique)?
Une manœuvre capitalistique subtile
Ce qui est remarquable, c’est que Poulina n’a pas acquis directement des actions SAH en Bourse. Il est passé par JM Holding, actionnaire majoritaire de SAH, en rachetant la participation de Olea Holding Ltd, un fonds d’investissement chypriote.
En pratique, Poulina détient désormais environ 30 % du capital de SAH, ce qui lui donne un poids important sans obligation d’OPA. La manœuvre lui offre une entrée par le haut : influence stratégique sans exposition directe en cas de turbulences boursières.
Enjeux financiers et croissance externe
Derrière ce mouvement se cache aussi une ambition financière forte. SAH, qui a connu une baisse de rentabilité entre 2022 et 2023, a entamé une restructuration interne. PGH pourrait jouer un rôle de stabilisateur, en injectant de la rigueur financière et en améliorant les marges via ses process industriels éprouvés.
Par ailleurs, cette prise de contrôle s’inscrit dans une logique de croissance externe ciblée, déjà amorcée par Poulina dans l’agroalimentaire, les matériaux de construction et les services logistiques. SAH pourrait devenir une plateforme continentale d’expansion dans les biens de consommation non alimentaires.
Une dynamique d’internationalisation renforcée
Lilas réalise plus d’un tiers de son chiffre d’affaires à l’export, avec une croissance régulière en Libye, Algérie, Afrique de l’Ouest et dans certains pays d’Europe. Avec l’appui logistique et financier de PGH, elle pourrait viser :
- une présence en grande distribution européenne (Carrefour, Aldi, etc.)
- une production délocalisée dans des pays stratégiques (une usine en Mauritanie est déjà annoncée)
- et une diversification dans les cosmétiques et produits d’entretien.
Vers une restructuration du marché tunisien ?
L’entrée de Poulina dans le capital de Lilas pourrait bouleverser l’équilibre du secteur. Les concurrents (comme Ontex, Teno ou encore les marques MDD) pourraient être poussés à revoir leur positionnement ou chercher des alliances défensives.
Le régulateur (Conseil de la concurrence) pourrait également s’intéresser de près à cette concentration, dans un secteur sensible aux pratiques monopolistiques.
une alliance à double tranchant
La prise de contrôle de SAH Lilas par Poulina est une manœuvre stratégique puissante, à la fois économique, industrielle et symbolique. Mais elle interroge : comment intégrer sans étouffer ? Poulina saura-t-il fédérer autour d’un pôle hygiène fort ou se retrouvera-t-il face à un empilement d’entités concurrentes ?
Pour le moment, les investisseurs saluent l’opération : le cours de SAH a bondi de +9 % en une semaine à la Bourse de Tunis. Mais les mois à venir diront si ce mariage de raison débouchera sur un champion national consolidé ou sur un conflit de marques au sein d’un même empire industriel.





















