Deux questions agitent le monde : le changement climatique, et la guerre sourde que se livrent les deux puissances, dominante et en quête de domination, à savoir respectivement les Etats Unis et la Chine. Ces deux questions ne sont pas totalement indépendantes, et elles sont globales, c’est-à-dire qu’elles concernent toutes les nations, de la plus petite à la plus grande.
Pour reprendre Gramsci, l’ancien monde se meurt, le nouveau tarde à venir, et dans ce clair-obscur, naissent les monstres. Et la première vague est là, de la guerre en Ukraine jusqu’au moindre coup d’Etat en Afrique ou ailleurs, en passant par le génocide de Gaza et l’inquiétante montée de la marée brune à travers l’ancienne Europe, l’Amérique et ailleurs.
Tout ce qui se passe aujourd’hui au niveau des relations internationales, n’est point intelligible sans référence directe ou indirecte à ces deux questions. Plus, ce que nous deviendrons, ce que nous vivrons, de notre nourriture quotidienne à notre survie en tant qu’êtres et en tant que nation, est conditionné par ces deux questions ; et le mode d’insertion dans ce nouveau monde constitue le préalable à toute construction nationale. Pendant ce temps, nos penseur-économistes s’entortillent à chercher comment « passer à de nouveaux paliers de croissance » et nos penseur-politiciens s’épuisent à chercher les moyens de « sauver une transition démocratique » qui n’a jamais existé.
Les Etats Unis, de l’hégémonie à la domination
L’hégémonie des Etats Unis a commencé à prendre forme à la fin de la seconde guerre mondiale avec les accords de Bretton Woods, et plus tard au début des années 70, par l’imposition du dollar américain comme monnaie principale de réserve et de paiements internationaux ; ce qui a fait que la puissance américaine a pris la tête des « démocraties » face au « totalitarisme soviétique ». La bipolarité qui s’est alors mise en place était « une hégémonie partagée » ; La guerre froide étant surtout un équilibre de la terreur entre deux blocs militaires, le camp communiste ne constituait qu’une faible menace économique, mais une menace idéologique très étroitement contrôlée et combattue.
La chute du mur de Berlin, en novembre 1989, marque la fin de la rivalité entre Moscou et Washington et celle de l’hégémonie partagée, et de la bipolarité relative ; elle était relative car elle ne couvrait que certaines dimensions : le politique, le militaire et partiellement le technologique. Avec la chute de l’Union Soviétique, les EU sont passés de l’hégémonie relative à l’hégémonie globale, dans le cadre de ce qu’on a appelé « la mondialisation », ou la « globalisation ».
En considérant les relations internationales, l’hégémonie (du grec « Hegemon », qui signifie « gouverneur », chef militaire…) est la domination d’une puissance, d’un pays, sur les autres.
L’hégémonie globale vous octroie le pouvoir de « domination ». Sur le plan économique, être dominant, c’est simplement s’octroyer le droit et le pouvoir d’orienter la distribution de la richesse mondiale entre les différentes nations. Le terme « simplement » risque d’être trompeur au regard de la complexité du processus. Ce pouvoir émane, en effet, de :
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La maîtrise des réseaux de distribution des biens et des services à l’échelle de la planète ;
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la maitrise des TIC, et en particulier, des réseaux devenus principale voie de distribution et d’orientation de la demande finale ;
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Il en découle le pouvoir d’influer l’évolution des cours des principaux produits et la part qui revient à chaque intervenant.
Par ailleurs, la puissance dominante a tendance, avec le temps, à tirer parti de la forte dépendance des autres pays à l’égard de sa monnaie. Exploitant ce « privilège exorbitant », elle peut se permettre de financer n’importe quelle dépense, ou des modèles de croissance qui ne sont viables à long terme que si leurs propres actifs liquides et sûrs font l’objet d’une demande inconditionnelle de la part du reste du monde. Ils peuvent aussi se permettre d’appliquer des sanctions économiques et financières à n’importe quel pays, indépendamment de la légitimité ou non de ces sanctions.
L’impression grandissante de l’usage démesuré et partial de ces privilèges, a fini par ébranler très sérieusement la confiance dans le dispositif économique et financier international. Les pays en développement, notamment les pays africains, y compris nous, après 60 ou 70 ans d’indépendance, ont le sentiment que le développement qui leur a été promis tarde à venir. Dans ces pays, les conditions de vie se sont relativement améliorées en termes de santé ou d’éducation par exemple ; mais ces pays, à très peu d’exceptions près, n’ont pas réussi à construire une économie viable, à réaliser une croissance durable ou à réduire significativement la pauvreté. Pire, la plupart sont ravagés par des conflits internes et régionaux. La domination est également restée continue, même si elle a quelque peu changé de forme.
Autrement dit, dans un monde unipolaire, la notion même de développement a perdu son sens, puisque le pôle dominant à la main haute sur la création et la distribution de la richesse mondialement créée. Nos pays, ont vu leur ambition se réduire à pouvoir arracher le plus de croissance possible de leurs ressources, afin de faire face à la dynamique démesurée d’un mode de vie et de consommation, dont on peut dire qu’il leur est imposé.
Une hégémonie globale en péril
Depuis une dizaine d’années, la domination des EU est mise en question et de plus en plus en péril, par la Chine, qui tendanciellement est entrain de posséder les attributs de la domination. C’est pourquoi, indépendamment du BRICS, le monde est en train de devenir multipolaire, et cela est en soi une remise en question déterminante du système de gouvernance mondiale.
La Chine, en possession des principaux éléments de l’hégémonie – à savoir, la taille économique et humaine, la menace croissante de rattrapage au niveau de la technologie, en particulier des technologies de l’information et des communications, et la puissance militaire- ne peut mettre fin à la domination américaine, qu’en réduisant la mainmise des EU sur la finance internationale, et l’étape cruciale serait la dédollarisation, c’est-à-dire l’abandon du quasi-monopole du dollar US comme monnaie d’échange et comme monnaie de réserve. C’est là, à mon avis, l’un des objectifs majeurs derrière la naissance des BRICS.
Le dernier sommet du BRICS (Août 2023, Johannesburg) est un évènement majeur de par les développements qu’il risque d’avoir sur la configuration des rapports internationaux. Le communiqué commun de ce sommet constitue une référence pour qui veut savoir les orientations de la configuration projetée. De ce long communiqué, nous ne présenterons qu’un extrait, court, mais significatif.
Tout en restant « modéré » sur les apparences, ce communiqué constitue une remise en question des fondements de la gouvernance mondiale. Il souligne L’attachement au multilatéralisme, particulièrement dans le cadre du système des Nations Unies : « Nous réaffirmons notre engagement en faveur d’un multilatéralisme inclusif et du respect du droit international, y compris des buts et principes consacrés dans la Charte des Nations Unies (ONU) comme pierre angulaire indispensable, et du rôle central de l’ONU dans un système international dans lequel les États souverains coopèrent pour maintenir la paix et la sécurité, faire progresser le développement durable, assurer la promotion et la protection de la démocratie, des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, et promouvoir une coopération fondée sur l’esprit de solidarité, de respect mutuel, de justice et d’égalité ».
Cela dit, il prône une réforme globale de l’ONU, surtout de son Conseil de sécurité : « Nous soutenons une réforme globale de l’ONU, y compris de son Conseil de sécurité, en vue de la rendre plus démocratique, représentative, efficace et efficiente, et d’augmenter la représentation des pays en développement parmi les membres du Conseil afin qu’il puisse répondre de manière adéquate aux les défis mondiaux actuels et soutenir les aspirations légitimes des pays émergents et en développement d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine, notamment le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud, à jouer un rôle plus important dans les affaires internationales, en particulier au sein des Nations Unies, y compris de son Conseil de sécurité. […] et nous appelons à une réforme des institutions de Bretton Woods, notamment pour un plus grand rôle des marchés émergents et des pays en développement, y compris à des postes de direction au sein des institutions de Bretton Woods, qui reflètent le rôle des pays en développement émergents dans l’économie mondiale. »
Sur le plan de l’important système de régulation des échanges commerciaux internationaux, le communiqué affirme « le soutien au système commercial multilatéral ouvert, transparent, juste, prévisible, inclusif, équitable, non discriminatoire et fondé sur des règles, centré sur l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et doté d’un traitement spécial et différencié (TSD) pour les pays en développement, y compris les pays les moins avancés. »
Last but not Least : « Nous soulignons l’importance d’encourager l’utilisation des monnaies locales dans le commerce international et les transactions financières entre les BRICS ainsi que leurs partenaires commerciaux. » ; ce qui signifie « dédollarisation », et équivaut à une véritable déclaration de guerre, au camp occidental.
L’avènement du BRICS constitue, en effet, une menace existentielle pour le pôle dominant. Pour le voir il suffit de considérer les conséquences de la dédollarisation : un véritable scénario cauchemardesque :
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baisse importante de la demande pour le dollar américain, et perte de valeur de cette monnaie sur les marchés des changes ;
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augmentation du déficit commercial des EU ;
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augmentation de l’inflation aux EU ;
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augmentation du coût de la dette, avec probablement difficultés à l’honorer ;



















