Nouvelle loi N°41-2024 sur les chèques sans provision en Tunisie : Changements profonds et conséquences économiques

En septembre 2024, une nouvelle législation révolutionnaire a été adoptée en Tunisie : la loi N°41-2024, destinée à réformer en profondeur le régime des chèques sans provision. Face à une montée inquiétante des chèques impayés, cette réforme vise à assainir le système financier en introduisant des sanctions renforcées et des procédures claires pour traiter les incidents de paiement. Présentée par l’expert-comptable Kais Fkih, cette loi marque un tournant décisif pour les transactions financières dans le pays.
Une explosion des chèques impayés en 2023
Les statistiques de 2023 témoignent de l’ampleur du phénomène des chèques sans provision en Tunisie. Durant cette année, pas moins de 2,527 millions de chèques ont été émis pour un montant global de 1 239 milliards de dinars, marquant une augmentation de 46 % par rapport à 2022. Toutefois, c’est le volume des chèques impayés qui inquiète le plus : au premier trimestre de 2023, 818 millions de dinars de chèques impayés ont été enregistrés, soit une hausse de 275 % en valeur et de 156 % en nombre par rapport à l’année précédente. Cela représente environ 412 500 chèques rejetés.
Les chèques sans provision représentaient à eux seuls 38 % des moyens de paiement compensés en Tunisie en termes de nombre et 54 % en termes de montant. Ces chiffres alarmants ont poussé le gouvernement à réagir en adoptant cette nouvelle loi pour protéger le système financier et les acteurs économiques.
Les principales mesures de la loi N°41-2024
La loi N°41-2024 introduit plusieurs nouveautés importantes pour encadrer l’utilisation des chèques et responsabiliser tant les banques que les émetteurs. Parmi les changements majeurs :
  1. Ouverture et gestion des comptes chèques : Avant de délivrer un carnet de chèques, chaque banque doit désormais consulter la Banque Centrale de Tunisie pour vérifier la solvabilité du client. Cette vérification est essentielle pour limiter l’émission de chèques sans provision. La banque doit évaluer la capacité financière du client à honorer les paiements par chèque, tout en surveillant les transactions à risque. Des solutions alternatives de paiement, comme les virements bancaires ou les cartes de crédit, sont encouragées.
  2. Limitation des carnets de chèques : La valeur totale d’un carnet de chèques non certifiés est désormais plafonnée selon la solvabilité de chaque client. En outre, pour les chèques d’un montant inférieur à 5 000 dinars, les banques sont tenues de les honorer même en l’absence de provision sous réserve de certaines conditions.
  3. Nouvelle plateforme numérique : L’une des réformes phares de cette loi est la mise en place d’une plateforme numérique dédiée, gérée par la Banque Centrale de Tunisie, pour la gestion des chèques. Grâce à cette plateforme, les bénéficiaires de chèques pourront vérifier en temps réel la disponibilité des fonds et s’assurer que le chèque sera honoré avant de l’accepter. Cette mesure vise à réduire les fraudes et à sécuriser les transactions financières.
  4. Dépénalisation partielle des chèques de faible valeur : La loi introduit également une dépénalisation partielle pour les chèques sans provision d’un montant inférieur à 5 000 dinars, évitant ainsi des poursuites judiciaires lourdes pour des incidents mineurs. Cependant, pour les chèques dépassant ce seuil, des sanctions sévères s’appliquent.
Une procédure en quatre étapes pour les chèques sans provision
La nouvelle loi instaure une procédure stricte et progressive pour traiter les chèques sans provision, offrant aux émetteurs plusieurs chances de régulariser leur situation avant d’encourir des sanctions pénales :
  1. Préavis de rejet : Dès qu’un chèque est rejeté pour absence de provision, la banque doit informer immédiatement l’émetteur en lui donnant un délai de trois jours pour approvisionner son compte. Si ce délai est respecté, le chèque est honoré, et l’émetteur évite toute sanction.
  2. Certificat de non-paiement : Si l’émetteur ne régularise pas la situation, la banque doit établir un certificat de non-paiement et notifier la Banque Centrale et le bénéficiaire du chèque. À ce stade, des frais de notification et des intérêts de retard commencent à s’appliquer.
  3. Deuxième délai de régularisation : L’émetteur dispose ensuite d’un deuxième délai de trois mois pour régulariser la situation. Durant cette période, il doit non seulement payer la somme due, mais également une amende de 10 % du montant du chèque, ainsi que des intérêts de retard.
  4. Dernière opportunité avant jugement : Si aucune action n’est prise après ce deuxième délai, l’émetteur dispose d’une dernière chance de régulariser sa situation avant qu’un jugement définitif ne soit rendu. À ce stade, l’amende augmente à 20 % du montant du chèque, et des poursuites pénales peuvent être engagées.
Impact économique de la réforme
La loi N°41-2024 a pour objectif de restaurer la confiance dans les transactions par chèque, tout en favorisant un basculement vers des moyens de paiement électroniques plus sûrs. Bien que le paiement par chèque soit encore largement utilisé en Tunisie, représentant une part importante des transactions, les autorités espèrent que cette réforme encouragera progressivement une adoption plus large des paiements électroniques.
En s’inspirant de la dépénalisation partielle des chèques sans provision en Belgique en 2002, la Tunisie cherche à moderniser son infrastructure financière. En Belgique, cette mesure a conduit à une baisse significative de l’utilisation des chèques, avec une augmentation des paiements électroniques, plus rapides et sécurisés. Entre 2002 et 2005, le volume des transactions électroniques y a augmenté de 337 millions à près de 12 milliards, améliorant l’efficacité du système de paiement et réduisant les litiges.
Conclusion
La loi N°41-2024 représente une réforme ambitieuse et nécessaire pour assainir le système financier tunisien, particulièrement en cette période de crise économique. Elle vise à responsabiliser les acteurs financiers tout en offrant des solutions plus sûres pour les transactions. La mise en place de nouvelles technologies et d’un cadre juridique renforcé pourrait marquer le début d’une transformation du paysage des paiements en Tunisie, tout en protégeant les consommateurs et les entreprises des risques liés aux chèques sans provision.
SR

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