L’un des problèmes majeurs pour l’entrepreneuriat en Tunisie est certainement l’accès au financement. Tous les sondages et les études confirment que les porteurs de projets ou les chefs d’entreprises déjà installés ont des difficultés à trouver les financements adaptés, et s’ils trouvent, ceci leur coûte très cher. Le crédit bancaire demeure la source de financement qui domine l’économie tunisienne. Or il existe plusieurs autres sources complémentaires qui offrent des possibilités pour les entrepreneurs. Il s’agit de la finance alternative telle que les fintechs, les sukuks islamiques, la microfinance ou le crowdfunding qui cherche encore sa place dans le paysage entrepreneurial.
Des outils sous-exploités :
Le développement de la finance alternative représente un levier important pour le développement de l’entrepreneuriat en Tunisie puisqu’il diversifie les sources de financement. Il soutien aussi l’inclusion financière et la modernisation des services financiers. L’enjeu est stratégique pour la Tunisie surtout que l’investissement privé est en chute libre, et que le nombre d’entreprises qui mettent les clés sous la porte chaque année atteint plus de 37.000.
La microfinance est l’outil le plus répandu et développé en Tunisie. Selon l’Autorité de Contrôle de la Microfinance, il existe en Tunisie 236 agences représentant les 7 sociétés anonymes de crédits, 289 associations de microcrédits sous la loi du 15 Juillet 1999, et 6 agences sous le label de l’IMF, ASAD Tamweel. Au 30 Juin 2025, 821 123 clients ont bénéficié des financements des institutions de microfinance pour un portefeuille de 2724 millions de dinars. L’encours moyen par client a atteint 3318 dinars. Ce sont chaque trimestre plus de 17.000 personnes qui bénéficient d’un microfinancement pour la première fois, ce qui montre le niveau d’inclusion financière possible. Ce type de financement joue aussi un rôle social important puisqu’il s’adresse aux ménages les plus vulnérables. Le plus grand obstacle pour ce mode de financement est sans doute, le taux d’intérêt qui peut atteindre les 30%. C’est aussi les limites de plafond de financement qui ne dépasse pas dans la majeure partie des cas 10.000 dinars.
Le deuxième outil de finance alternative règlementé en Tunisie est le crowdfunding. Un outil promulgué par la loi n°2020-37 du 06 août 2020 relative au Crowdfunding et qui a été largement saluée par tous les acteurs économiques. Mais, comme d’habitude, il a fallu attendre plus de 2 ans pour voir le principal décret d’application, à savoir le décret n°767 du 19 octobre2022 portant organisation de l’activité de Crowdfunding en dons et libéralités.
Le cadre règlementaire a été complété par un ensemble de notes de l’Autorité de Contrôle de la Microfinance. Le crowdfunding est réalisé principalement via des plateformes numériques et adapté surtout aux startups, et a le mérite d’offrir une nouvelle piste de financement outre que le crédit bancaire.
A l’échelle internationale, les estimations de la Banque Mondiale tablent sur 300 milliards de dollars d’investissements via le crowdfunding en 2025.
En Tunisie il n’existe pas de chiffres officiels sur des financements via cet outil, pourtant une plateforme nationale du crowdfunding a été lancée depuis le 31 Octobre 2023.
Il existe aujourd’hui quelques plateformes sérieuses qui travaillent dans le domaine du crowdfunding tel que Kickoff.tn ou Cha9a9a. Le secteur ne connait pas un grand engouement parce qu’il n’est pas très connu ou vulgarisé auprès des petits artisans ou artistes.
Pour les fintechs, la situation s’améliore d’une année à l’autre. Après des difficultés règlementaires, la Banque Centrale a initié depuis 2020 un sandbox règlementaire de la fintech et a mis en place une plateforme de paiements « paysmart.tn ». Le développement des fintechs a été intégré dans le cadre de la stratégie numérique nationale 2021-2025. Malgré les difficultés, plusieurs fintechs ce sont développées tel que « flouci », « Paymee », « Bitaka » et l’application D17 de la Poste tunisienne. Le secteur dispose d’une grande marge de progression, mais l’environnement est bloquant.
Les Sukuks sont aussi des outils alternatifs de financement. Ils ont été règlementés par la loi n° 2013-30 du 30 juillet 2013, relative aux sukuk islamiques. Selon l’article premier de la loi, « Les sukuk sont des titres négociables qui représentent des parts communes à valeur égale dans la propriété de biens, d’usufruit, de services, de droits, existants ou qui seront créés ou un mélange de biens, d’usufruit, de services, de monnaies et créances du produit de la souscription. Ils sont émis dans le cadre d’un contrat conformément aux normes charaïques et sur la base du principe de partage de profits et de pertes ». Depuis 2013 des tentatives de financement via sukuk ont été faites par le gouvernement afin de varier ses sources de financement. La loi des finances de 2025, a déjà prévu la possibilité de recourir à des Sukuk pour le financement du budget de l’Etat.
Mais concrètement cet outil n’a jamais été utilisé par le gouvernement ou des sociétés tunisiennes.
D’autres outils de financement alternatifs existent en Tunisie, tel que les fonds d’investissements, les business angels, ou les incubateurs d’entreprises…mais qui se limitent à quelques cas de financement. La Banque monopolise toujours le financement d’entreprise en Tunisie.
Des blocages règlementaires :
Malgré le potentiel qui existe, les outils de finance alternative n’arrivent pas à se développer. Plusieurs obstacles bloquent ce processus. Le premier obstacle est d’ordre règlementaire et juridique. L’esprit très conservateur des cadres de la Banque Centrale, ainsi que le lobby des banques, imposent des règles contraignantes pour le développement de ces nouveaux outils. Le code de change, qu’on n’arrive pas à amender depuis des années, n’a pas arrangé les choses et se pose comme obstacle aux financements étrangers.
Le contrôle de ces outils par plusieurs institutions à sa voir la Banque Centrale, l’Autorité de Contrôle de la Microfinance et le Conseil des Marchés Financiers ne permet pas d’avoir un seul interlocuteur, un seul régulateur et un seul superviseur.
Au niveau des fintechs, le blocage se situe au niveau des réticences des banques à ouvrir leurs systèmes d’information ce qui bloque le développement de l’open banking. Selon un sondage 50% des fintechs jugent que le cadre règlementaire bloque leur développement et principalement le code des changes et la loi sur les établissements de paiement.
Pour développer la finance alternative en Tunisie et alléger la charge de financement de l’économie pour le secteur bancaire, l’Etat doit travailler sur la simplification des procédures administratives et l’allègement du cadre règlementaire. Un travail de fond doit être fait au niveau de l’éducation financière afin de vulgariser ces outils.
La finance alternative en Tunisie est un levier sous exploité jusqu’à présent, pourtant il est appelé à compléter le secteur bancaire traditionnel et à prendre les risques que certains banquiers ne veulent pas prendre. Pour le développement de l’entrepreneuriat et l’inclusion financière, la Tunisie a besoin d’un système financier hybride qui offre un éventail de sources de financements. Le plus important est que le terrain est balisé et que le futur offre de belles perspectives s’il existe une véritable vision stratégique, et comme d’habitude, une volonté politique.





















