L’INS vient de publier les résultats du commerce extérieur en Tunisie pour les 9 premiers mois. Le solde commercial vient d’enregistrer un nouveau record pour se stabiliser au niveau de 16.7 milliards de dinars, contre 13.4 milliards de dinars en 2024 et 13.9 milliards de dinars en 2023. Le taux de couverture est descendu au niveau de 73.5% contre 77.5% en 2024. Le constat est simple : la Tunisie importe beaucoup plus qu’elle n’exporte. La tendance ne faiblit pas et semble s’installer dans la durée. Les importations des produits énergétiques, des céréales, des biens d’équipements et biens de consommation augmentent, alors que les exportations, et malgré les efforts déployés par tous les acteurs économiques, ne suivent pas le rythme.
Pour autant, faut-il ne pas s’alarmer et expliquer cette tendance par la conjoncture économique nationale et internationale, ou plutôt voir dans ce déficit commercial une fragilité structurelle, symptôme d’un malaise chronique ?
Le poids du déficit énergétique est énorme :
La Tunisie est certainement dépendante de l’importation de certains produits tel que les produits énergétiques, les produits céréaliers et les biens d’équipement. Selon l’INS, les importations ont enregistrée une augmentation au niveau des importations des biens d’équipement de (+16,2%) et des matières premières et demi-produits de (+8,1%), de même les importations des biens de consommation sont en hausse de (+11,4%). En revanche les importations des produits énergétiques ont enregistré une baisse de (-11,8%) et les produits alimentaires de (-3,5%). Le déficit provient principalement de l’énergie de (-8106,4 MD), des matières premières et demi-produits de (-4990,8 MD), des biens d’équipement de (-2693,7 MD) et des biens de consommations (-1557,4 MD), en revanche le groupe alimentation a enregistré un excédent de (+620 MD).
Une lecture du déficit confirme que plus de la moitié provient du déficit de la balance énergétique, malgré la baisse du prix du pétrole à l’échelle mondial. Le baril de Brent s’échange aujourd’hui à 62 dollars, contre 75 dollars il y a quelques mois. Mais l’explication de ce déficit doit être recherchée aussi du côté de notre production de pétrole et de gaz qui a largement chutée faute de nouvelles prospections ; qui s’ajoutent à une hausse de la demande intérieure.
Au niveau des biens d’équipement, le déficit est expliqué par l’achat de nouveaux bus pour les sociétés de transport, afin d’améliorer le transport public.
Des exportations à faible valeur ajoutée :
Les exportations tunisiennes sont concentrées autour du textile et habillement dans le cadre de l’industrie offshore, des composantes automobiles et électriques, et l’huile d’olive, les dattes et les agrumes. Les exportations tunisiennes ne sont pas sorties depuis des années du carcan de la sous-traitance industrielle pour certains pays européens. Le niveau d’intégration de ces exportations est très faible, les entreprises tunisiennes sont dépendantes des donneurs d’ordre étrangers.
Dans le secteur de l’exportation des produits électriques et mécaniques, la Tunisie est très dépendante du marché automobile et de l’aéronautique en Europe.
Sur le plan de l’exportation des produits agricoles et alimentaire, nous sommes aussi dépendants, mais cette fois, des aléas climatiques. Une bonne pluviométrie est synonyme de bonne production d’huile d’olive, de dattes, et des agrumes ; et donc une bonne recette d’exportation.
Au niveau des exportations du phosphate, dont les prix ont nettement augmenté à l’échelle mondiale, nous sommes aussi dépendants, cette fois du climat social dans le bassin minier. Après une production record de presque 10 millions de tonnes en 2010, la Tunisie, ne produits actuellement que 3.5 millions de tonnes.
Baisse de la compétitivité :
Au niveau des exportations la Tunisie est en train de perdre sa compétitivité depuis des années. Un manque de compétitivité devenu au fil du temps structurel à cause de la hausse des coûts logistiques, la détérioration du climat des affaires, les perturbations sociales, et l’instabilité règlementaire. L’Institut des études quantitatives élabore un indice synthétique de compétitivité globale regroupant plusieurs indicateurs, et compare la Tunisie avec 26 autres pays. Sur ce classement la Tunisie est 22ème. Elle est classée parmi les pays à faible performance.
La dépréciation du dinar tunisien vient ajouter de la farine au moulin, pénalisant ainsi la compétitivité des produits tunisiens.
Cette situation, mène directement à un déficit commercial structurel et très dépendant d’aléas extérieurs.
Un déficit aux conséquences préoccupantes :
Une aggravation du déficit commercial, signifie automatiquement, un recours plus important aux réserves en devises. Cette situation exerce une pression énorme sur la Banque Centrale, dont le rôle est de constituer un matelas confortable en devise pour pouvoir stabiliser la monnaie nationale.
Au 13/10/2025 la Tunisie détient 24736 MD en devise soit 106 jours d’importation, ce qui est un niveau acceptable. Ce niveau est principalement maintenu grâce aux entrées des tunisiens à l’étranger et à une bonne saison touristique. Les TRE ont atteint 6.5 milliards de dinars au mois de Septembre 2025 contre 6 milliards de dinars durant la même période de 2024. Dans le même sillage, les recettes touristiques ont atteint 6,26 milliards de dinars, en hausse de 8,2 % par rapport à la même période en 2024.
Ces résultats enregistrés ont permis de freiner légèrement l’érosion du dinar tunisien, principalement face à l’Euro.
Le déficit commercial et l’aggravation des termes de l’échange, peuvent aussi avoir un impact sur le coût de la vie des tunisiens. En effet, des importations plus chères, que ce soit en produits finis, matière première ou biens de consommation, signifient plus d’inflation et donc une détérioration du pouvoir d’achat.
Le déficit commercial n’est pas une fatalité :
L’aggravation du déficit commercial ne doit pas être considérée comme une fatalité, mais plutôt comme un levier pour engager les transformations structurelles nécessaires dans le modèle économique.
Avec un potentiel agricole important, la Tunisie doit investir massivement dans ce secteur pour le rendre moins dépendant des aléas climatiques. Une agriculture moderne peut avoir une forte valeur ajoutée dans les exportations.
C’est ainsi qu’une valorisation des produits agricoles est un levier important pour réduire le déficit commercial la Tunisie. L’exportation d’huile d’olive conditionnée ou les dattes emballées peuvent augmenter nettement la valeur de nos exportations. Faut-il rappeler que la part de l’huile d’olive conditionnée ne dépasse pas 20%, le reste est exporté en vrac à des prix très bas.
Le déficit commercial n’est pas aussi une fatalité, dans le sens ou il doit nous pousser à travailler encore plus à la prospection de nouveaux marchés à l’export. L’Union Européenne accapare plus de 70% de nos exportations ce qui nous laisse très dépendant de ce marché. Or, de nouveaux marchés émergent : Afrique subsaharienne, Golfe, Asie du Sud-Est.
Sur un autre plan, le poids des importations énergétiques dans notre déficit commercial doit inciter à accélérer la transition énergétique en Tunisie. La part actuelle des énergies renouvelables en Tunisie est d’environ 10 % de la production d’électricité. L’objectif d’atteindre 35% en 2030 semble difficile à atteindre.
La chute de nos exportations d’hydrocarbures à moins de 30.000 barils par jour, encourage aussi à revoir notre politique en matière d’octroi d’autorisations pour de nouvelles explorations.
S’ajoutent à tous ces éléments, l’handicap logistique au niveau des échanges commerciaux de la Tunisie, que ce soit au niveau des exportations ou des importations. On ne sent aucun effort gouvernemental pour faciliter l’exportation des produits tunisiens au niveau des ports ou aéroports, ni pour réduire le coût logistique des importations. Classé à la 210ème place en 2022, le port de Radès a perdu 40 places pour se positionner au 251ème rang sur 403 ports à conteneurs dans le monde, selon l’indice CPPI publié au mois de Septembre 2025.
Une attention particulière à ce problème permettrait certainement d’améliorer la compétitivité de la Tunisie.
Pour conclure, nous affirmons que l’aggravation du déficit commercial tunisien est un motif d’inquiétude, mais pas de panique. On ne doit pas simplement créer au feu dans la demeure, mais plutôt passer à l’action et engager les véritables réformes. La Tunisie ne doit pas se résumer à un simple importateur ou sous-traitant, mais se positionner comme un pays compétitif et un exportateur confirmé.
abou farah




















