L’INS vient de publier les chiffres de l’indice des prix à la consommation pour le mois de Septembre.
Une inflation, qui selon les chiffres, recule depuis le début de l’année. Selon l’INS, le taux d’inflation a atteint 5% au mois de septembre 2025, contre 5,2% le mois précédent.
L’explication de cette baisse réside dans le ralentissement du rythme d’évolution des prix du groupe des produits alimentaires (5,7% en septembre 2025 contre 5,9% en août 2025), des prix du groupe des loisirs et de la culture (4,6% en septembre 2025 contre 5,4% en août 2025), des prix du groupe des services des restaurants, cafés et hôtels (10,1% en septembre 2025 contre 10,6% en août 2025) et des prix du groupe des services de transport (3,1% en septembre 2025 contre 3,6% en août 2025).
Or les ménages tunisiens éprouvent un ras-le-bol croissant face à la cherté de la vie et la hausse des prix face à un pouvoir d’achat qui se détériore. Sur le plan officiel, les prix baissent, et l’inflation est maîtrisée à un niveau acceptable.
Alors pourquoi cette impression d’une hausse bien plus forte que les chiffres officiels ? Pourquoi les Tunisiens ont-ils le sentiment que leur argent fond à vue d’œil et qu’ils n’arrivent pas à joindre les deux bouts, alors que les chiffres officiels semblent moins alarmants ? Entre l’inflation mesurée et l’inflation ressentie, le fossé ne cesse de se creuser.
IPC : une simple moyenne statistique
L’indice des Prix à la Consommation mesuré par l’INS est la moyenne statistique du panier type de la ménagère, obtenu selon l’enquête quinquennale sur la consommation et les dépenses. La dernière a été réalisée en 2021. C’est une simple opération de relevé de prix réalisée par des enquêteurs chaque mois, avec des pondérations selon le poids de chaque produit dans le panier.
Ainsi, si le prix du carburant ou de la viande augmente, mais que les prix des vêtements ou des services de communication restent stables, la hausse globale des prix est pondérée. Le résultat final est une moyenne nationale censée refléter la variation générale du coût de la vie.
L’IPC est certes un indicateur important pour mesurer les efforts du gouvernement pour la maîtrise des prix et l’efficacité de la politique de régulation du marché, mais il sert aussi de boussole pour la politique monétaire.
En pratique, cette moyenne ne reflète pas toujours le quotidien vécu par les consommateurs, car tous les Tunisiens ne consomment pas de la même façon. Il y a ceux qui fument et boivent de l’alcool, d’autres ne consomment pas ces produits.
L’inflation ressentie : le vécu du consommateur
L’inflation ressentie est un concept qui traduits la réalité des consommateurs tunisiens. Leurs perceptions des prix selon leur mode de consommation. Ceux dont la plus grande part du budget est consacrée à l’alimentation vont sentir l’inflation plus fortement qu’un célibataire qui mange dans les restaurants avec des tickets donnés par son travail. Pour un ménage qui consacre plus de 50% de son budget à l’alimentation, il va sentir l’inflation à la moindre hausse des prix de certains produits alimentaires tel que les œufs, la viande, le poulet, les légumes, les fruits…Or ces produits enregistrent depuis des années une hausse continue et vertigineuse. Des hausses qui sont parfois conjoncturelles et explicables, mais d’autres fois des hausses inexpliquées et relèvent du fonctionnement des circuits de distribution et des organes de contrôle.
L’inflation ressentie dépend aussi du revenu du consommateur. Les plus bas revenus ressentent l’inflation plus que ceux ayant un revenu moyen ou élevé.
Pour un statisticien, la moyenne l’inflation enregistrée de 5% par l’INS peut sembler raisonnable. Mais pour un citoyen, il évalue parfois l’inflation à plus de 13% d’un mois à l’autre. L’inflation “ressentie” dépasse largement les chiffres officiels.
L’inflation dépend aussi de la géographie :
L’inflation n’est pas la même dans toutes les régions de la Tunisie. En effet, les modes de consommation diffèrent d’une zone à une autre, et les prix varient selon les zones de production de certains produits.
Sur le grand Tunis on juge toujours que la vie est plus chère que dans les régions de l’intérieur. Les besoins des ménages des certains régions rurales diffèrent des besoins des ménages qui résident dans les zones urbaines. Or l’IPC traduit l’inflation sur tout le territoire. Cet aspect géographique explique aussi la différence entre l’inflation mesurée et ressentie.
Manque de confiance dans les chiffres :
L’écart entre l’inflation mesurée et l’inflation ressentie découle aussi d’une crise de confiance dans les chiffres officiels. La situation ne date pas d’aujourd’hui, ni exclusive à la Tunisie. On a toujours accusé les pouvoirs en place de maquiller les chiffres pour des raisons politiques ou électorales.
Cette crise de confiance est palpable aujourd’hui surtout sur les réseaux sociaux, avec des consommateurs qui apportent des preuves filmées que les prix annoncés par le ministère du commerce ou les médias étatiques diffèrent de la réalité du marché. C’est le cas ces jours avec des médias étatiques qui annoncent que les prix de la viande ovine sont de 40 dinars, alors que des consommateurs publient des photos de prix atteignant 60 dinars. C’est aussi le cas des bananes dont le prix a été fixé par le ministère du commerce entre 5 et 7 dinars alors que les prix pratiqués atteignent 12 dinars.
En résumé, le Tunisien moyen ne se reconnaît pas dans la moyenne statistique calculée par l’INS. Et ce sentiment alimente une défiance plus large envers les institutions statistiques.
L’inflation ressentie : un phénomène social.
L’inflation ressentie n’est pas simplement un phénomène économique, mais principalement un phénomène social. Elle traduit le moral des ménages. C’est pour cette raison que dans plusieurs économies développées on mesure l’indice de confiance des ménages qui est très important pour certains investisseurs pour leurs décisions d’investissement.
Le niveau de l’inflation ressentie impacte aussi considérablement le comportement de consommation des ménages. La hausse des prix des viandes rouges en Tunisie a considérablement impacté son niveau de consommation de ces produits. En effet, on est passé de 10 Kg/personne/an à 7 Kg/personne/an. De l’autre côté la consommation des œufs a nettement augmenté dépassant les 120oeufs par personnes/an. Les œufs sont considérés comme un produit de substitution aux protéines animales.
Quand les consommateurs sentent l’effritement de leur pouvoir d’achat, les consommateurs modifient leurs habitudes :
C’est à ce niveau qu’intervient la sociologie, et l’inflation ressentie devient alors un baromètre du malaise social. Elle n’est pas traduite par les chiffres de l’INS, mais dans les difficultés des chefs de ménage et leurs inquiétudes, ou dans le soupir du commerçant qui n’ose plus afficher ses nouveaux prix et constate la baisse de son chiffre d’affaire.
Changer la méthodologie :
Afin de rapprocher l’inflation officielle mesurée par l’INS à l’inflation ressentie par les consommateurs il est important de changer la méthode de calcul et la périodicité des enquêtes. L’indice des prix actuel est calculé en référence à l’enquête consommation de 2015. Il ne prend même pas en considération la base de l’enquête de 2021. Réaliser une enquête quinquennale ne permet pas de rapprocher le mode de consommation au jour de publication de l’indice. En Italie par exemple l’enquête consommation est réalisée chaque année et le panier de la ménagère est actualisé selon ces enquêtes.
Il est possible aussi de travailler au niveau de l’INS sur un indice des prix régional ou selon les zones.
Mais au-delà de la méthodologie, le véritable défi est ailleurs : mettre en œuvre les politiques nécessaires pour la hausse du pouvoir d’achat. Tant que les salaires et les revenus en général n’évolueront pas au même rythme que les prix, l’écart entre inflation mesurée et ressentie restera béant.
Il est important de confirmer que l’inflation réside dans les caddies et les couffins des consommateurs et sur les étalages des marchés. Le politique doit être convaincu que tant que l’écart entre l’inflation mesurée et l’inflation ressentie grandit, c’est un sentiment d’appauvrissement qui s’installe. Le travail doit se focaliser sur les politiques publiques telles que l’habitat, le transport public, la santé ou l’éducation, pour atténuer l’effritement du pouvoir d’achat des tunisiens.
abou farah





















