L’enseignement privé en Tunisie est en train de s’installer dans le paysage éducatif tunisien comme une option incontournable. Les chiffres, de la maternelle à l’université, montrent une croissance continue de ce secteur.
Est-ce un effet de mode qui concerne une partie aisée des ménages tunisiens, ou une nécessité imposée par l’état de l’éducation dans le secteur public ?
Un secteur en pleine croissance :
La part de « marché » de l’enseignement privé en Tunisie n’a pas cessé de croitre durant les dernières années malgré des prix élevés, un coût plus cher, et une baisse du pouvoir d’achat des ménages tunisiens. Les chiffres du ministère de l’éducation et du ministère de l’enseignement supérieur montrent une croissance continue du nombre des établissements privés et le nombre des élèves ou étudiants. Voici quelques éléments :
- Le nombre des élèves dans les années préparatoires dans le privé est de 15245 répartis sur 535 écoles, contre 58064 dans le secteur public. La moyenne du nombre d’élèves par classe est de 16.5, alors que dans les écoles préparatoires publiques il est de 22 élèves/classe.
- Le nombre des élèves dans les écoles privées est de 134191 contre 1.184.438 dans les établissements publics. Ils n’étaient que 48390 durant l’année scolaire 2014-2015, c’est donc une croissance de plus de 170% en 10 ans. Le nombre d’écoles privées est passé de 263 durant l’année scolaire 2014/2015 à 701 à l’année scolaire 2024/2025 soit une croissance de 166%. La plus grande concentration se trouve à Tunis avec 110 écoles, suivie de Ben Arous 73, l’Ariana 61 et Sousse 60 établissements. La moyenne des élèves par classe est de 18.8 alors que dans le publique ce ratio est de 24.2
- Pour l’enseignement de base et secondaire privé, il concerne 115543 cette année contre 69235 élèves durant l’année scolaire 2014-2015. Le nombre d’établissements est passé de 326 durant l’année scolaire 2014/2015 à 573 établissements cette année. Le ratio élèves/classe est de 20.5 dans les établissements privés alors qu’il est de 28.7 dans les établissements publics. La plus grande concentration de ces établissements est à Tunis avec 86 établissements suivie cette fois par Sousse avec 48 établissements et Ben Arous avec 44 établissements.
- Pour l’enseignement supérieur, il existe en Tunisie 83 universités qui hébergent selon les plus récentes statistiques plus de 48347 étudiants, dont plus de 5000 sont étrangers. Ce nombre était de 31.000 durant l’année universitaire 2017-2018, et 10.000 seulement en 2005. Les étudiants dans les universités privées représentent en moyenne plus de 15% du total des étudiants en Tunisie.
Ces chiffres confirment une montée en croissance de l’enseignement privé en Tunisie. Dans l’enseignement primaire, de base ou du secondaire, la croissance est de 10% annuellement.
Privé/public : les raisons d’un choix :
Les raisons de l’essor de l’enseignement privé en Tunisie sont multiples. La qualité de l’enseignement public est en train de se détériorer. Les établissements sont de plus en plus vieillissants, les classes sont trop chargés, les grèves sont une monnaie courante, et les programmes scolaires sont jugés trop rigides et ne répondent pas aux attentes des parents. Le privé est la solution de substitution aux inconvénients du secteur public. En effet, l’éducation des enfants occupe une place importante dans l’esprit des ménages tunisiens, considérée jusqu’à présent comme un ascenseur social fiable, et c’est dans ce contexte qu’ils sont prêts à investir dans leurs enfants. Ils cherchent des classes à effectifs réduits, la maîtrise des langues étrangères, l’épanouissement de leurs enfants à travers des activités ludiques, et un suivi personnalisé. Dans l’enseignement supérieur ce sont surtout la qualité des professeurs ainsi que les partenariats internationaux des universités qui offrent des diplômes co-certifiés qui attirent les ménages tunisiens.
Sur un autre plan, et d’un point de vue sociologique, avoir ses enfants dans des établissements d’éducation privés est un signe de prestige.
Malgré des frais de plus en plus exorbitants l’enseignement privé continue d’attirer des clients. Dans l’enseignement primaire, de base ou secondaire, il faut compter en moyenne 6000 à 8000 dinars par an. Dans les universités les frais varient entre 8.000 et 11.000 dinars par an. Il est important de signaler que selon l’enquête consommation de l’INS pour 2021, les ménages tunisiens consacrent en moyenne 1.5% de leur budget à l’éducation. Un chiffre très contesté en réalité.
Depuis des années le recours à l’enseignement privé ne concerne pas seulement les familles aisées, mais aussi une grande partie de la classe moyenne, et même du plus bas quintile de cette classe. Certains ménages ont recours à des crédits bancaires pour payer les frais de scolarité de leurs enfants.
Il est important de signaler à ce niveau que tous les établissements privés ne se valent pas. La qualité espérée de l’enseignement n’est pas parfois au rendez-vous. Le manque de contrôle de la part des deux ministères concernés laisse apparaitre parfois certains « parasites », qui ont l’allure de « commerçants » plutôt que des établissements privés. Il faut avouer que la bonne rentabilité de l’investissement dans l’enseignement privé attire plus d’une personne.
L’essor de l’enseignement privé en Tunisie, et s’il continue sur cette lancée, comporte un risque sur l’enseignement public et au droit constitutionnel à une éducation égale entre les citoyens. En effet, si la situation dans les établissements publics perdure, avec des budgets réduits, une infrastructure qui ne se modernise pas, des modules qui ne répondent pas aux exigences du marché de l’emploi, une qualité d’enseignants et d’enseignement médiocre ; l’enseignement sera marginalisé.
Effet de mode ou nécessité ?
La réponse à cette question est simple : L’enseignement privé pour certaines familles tunisiennes est un signe d’appartenance sociale, un prestige qu’on ne veut pas s’en priver. Pour d’autres familles c’est une nécessité face aux limites du système public, et un investissement, qu’ils espèrent rentable dans leurs enfants. Les familles ne cherchent que le mieux pour leurs enfants et ils le trouvent dans le privé, en dépit parfois de la qualité.





















