Tunis, juin 2025 – Alors que les banques tunisiennes s’apprêtent à publier leurs indicateurs semestriels pour le premier semestre 2025, un constat s’impose : la combinaison de réformes ambitieuses sur les chèques impayés, les contrats de sous-traitance et la réglementation du travail transforme profondément la cartographie financière du secteur. Si l’assainissement juridique et la meilleure traçabilité des flux constituent des avancées notables, les premiers chiffres publiés par la Banque Centrale de Tunisie (BCT) révèlent des tensions croissantes sur la liquidité et un recours massif à l’argent liquide, qui brouillent les effets attendus.
📉 Chèques : une chute spectaculaire, mais pas sans contrepartie
La loi du 2 août 2024, visant à réduire la pénalisation automatique des chèques sans provision, marque un tournant dans les usages bancaires. Le nombre de chèques traités au premier trimestre 2025 s’est effondré de 62,5 %, passant à 1,35 million d’opérations. Plus significatif encore, leur montant global a chuté de 38,6 %, selon la BCT.
Un signal clair que les entreprises et les particuliers optent désormais pour d’autres modes de paiement ou, pire encore, pour des transactions en espèces. Si cette baisse a permis aux banques de réduire leur contentieux lié aux incidents de paiement – avec un recul notable des créances douteuses issues des rejets de chèques – elle s’est accompagnée d’un effondrement des commissions issues de ces instruments et d’un retrait partiel des clients du système bancaire formel.
💰 Liquidité : l’envolée du cash inquiète les financiers
En parallèle, la masse monétaire fiduciaire en circulation a atteint un niveau sans précédent. Fin mai 2025, près de 24 milliards de dinars circulaient en dehors du système bancaire, contre 21 milliards un an plus tôt, selon des données croisées de la BCT et du ministère des Finances. Cette tendance, alimentée en partie par le recul du chèque comme moyen de règlement, fragilise la liquidité bancaire.
« Nous observons un retrait progressif de l’épargne à vue et des dépôts courants, notamment chez les petits déposants et certaines professions informelles », explique un cadre bancaire. La conséquence immédiate est une hausse du recours des banques aux facilités de la BCT, avec un besoin moyen de liquidité de près de 13 milliards de dinars sur le trimestre, pour des interventions couvrant à peine cette demande.
🏗️ Sous-traitance et CDD : vers une bancarisation progressive mais lente
Deux autres réformes structurelles sont entrées en vigueur en début d’année : celle sur la formalisation des contrats de sous-traitance, et celle sur l’encadrement des contrats à durée déterminée (CDD). L’objectif : limiter les abus, renforcer la traçabilité des relations de travail, et inciter à la bancarisation via la domiciliation des salaires.
Si certaines grandes entreprises ont répondu à l’appel, le rythme de bancarisation reste modéré, notamment en raison de la méfiance d’une partie des sous-traitants, et du coût perçu du formalisme administratif. En revanche, les flux de paie via les banques ont légèrement augmenté, de l’ordre de +4 % au premier semestre, générant de nouvelles commissions pour les établissements.
📊 Indicateurs clés : entre lumière et zones grises
Indicateur |
Tendance S1 2025 |
Commentaires |
Produit Net Bancaire (PNB) |
Stable à -2 % |
Baisse des revenus sur chèques, hausse partielle des commissions sur comptes |
Résultat net global |
-1 à -3 % |
Pression sur la marge, effet modéré des coûts du risque en baisse |
Coût du risque |
-5 à -8 % |
Moins d’incidents chèques, meilleure segmentation du risque |
Crédits à l’économie |
+3 à +5 % |
PME et particuliers bancarisés en légère progression |
Dépôts bancaires |
-2 à -4 % |
Fuite vers le cash, baisse de la bancarisation spontanée |
Ratio de créances douteuses (NPL) |
Amélioration de 0,5 pt |
Assainissement judiciaire et règlement à l’amiable plus fréquents |
Ratio de liquidité |
Sous tension |
Déficit de liquidité persistant sur le marché interbancaire |
🧭 Enjeux à venir : regagner la confiance du client
Si les réformes initiées ont vocation à renforcer l’inclusion financière, le système bancaire fait face à un risque de déconnexion croissante avec une partie de la population qui, confrontée à la rigidité administrative ou à la peur des sanctions fiscales, préfère se tourner vers le cash. Ce phénomène fragilise non seulement les banques mais aussi l’efficacité monétaire de la BCT.
Pour inverser cette dynamique, plusieurs leviers sont à actionner :
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Promouvoir les comptes rémunérés, pour retenir les dépôts.
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Encourager l’usage des moyens électroniques de paiement, en renforçant la confiance.
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Soutenir la bancarisation des travailleurs précaires, en lien avec la CNSS et les entreprises.





















