Dans un amphithéâtre comble de l’IHEC Paris, une voix tunisienne a résonné avec puissance et lucidité. Celle de Nizar Yaïch, ancien ministre des Finances, ingénieur formé à Centrale Paris, ex-partner chez PwC, entrepreneur et aujourd’hui conseiller de gouvernements internationaux. Un parcours atypique, au croisement de l’économie, de la géopolitique et de la transformation numérique, qu’il est venu partager dans le cadre du nouveau cycle de conférences de l’association HEC Tunisie, placée sous le thème ambitieux : « Ce que la Tunisie dit au monde. »
Et justement, Nizar Yaïch a parlé. Sans langue de bois. Sans effet de manche. Avec la rigueur analytique d’un stratège et l’engagement profond d’un homme de conviction.
Polycrises, dettes et géopolitique : une lecture globale
À l’entame de son propos, l’ancien ministre a brossé un panorama saisissant du désordre mondial actuel : guerres régionales, tensions commerciales sino-américaines, crise climatique, endettement vertigineux… L’ère actuelle n’est pas marquée par une crise isolée, mais bien par une « polycrise systémique », enracinée dans des tendances structurelles : vieillissement des populations, changements démographiques profonds, accélération technologique, montée des nationalismes économiques, et surtout, effritement des institutions multilatérales.
Son constat est implacable : « Nous n’avons jamais eu autant de conflits armés depuis 1945 », « les institutions comme l’ONU, l’OMS ou la CPI sont affaiblies », « le monde bascule vers la loi du plus fort et la dérégulation permanente. »
Un système financier mondial à bout de souffle
Interpellé sur la dette mondiale, Nizar Yaïch livre un diagnostic alarmant mais précis. En 2024, la dette publique planétaire dépasse les 100 000 milliards de dollars, soit l’équivalent du PIB mondial. Pire encore, une dette cachée, estimée à près de 25 % du PIB mondial, grève les budgets des États. Pour les pays du Sud, ce fardeau est aggravé par des politiques monétaires occidentales (taux d’intérêt élevés, dollar fort) qui drainent les capitaux et renchérissent leurs dettes.
L’ancien ministre dénonce une forme de « taxe cachée imposée au Grand Sud » à travers la politique des taux, et plaide pour une remise à plat du système hérité de Bretton Woods : « Ce système pénalise les plus vulnérables et freine la souveraineté financière des pays du Sud. »
Vers un monde multipolaire ? Le Sud entre fragmentation et espoir
S’il reconnaît la montée en puissance des BRICS, la création d’alternatives monétaires, et les initiatives régionales, Yaïch reste prudent : « Il ne suffit pas d’ajouter les capacités financières des pays du Sud sur une feuille Excel. Ce n’est pas parce qu’on additionne les millions qu’on crée une stratégie. » Il appelle à des investissements réellement mutualisés, une vision à long terme et une coordination intelligente entre nations du Sud.
Il esquisse même une proposition audacieuse : une monnaie arabo-musulmane partiellement numérisée, comme socle d’un nouvel ordre financier régional, à condition de « ne pas rater l’Histoire une nouvelle fois. »
🇹🇳 Une Tunisie entre tensions et potentiel
Le cas tunisien a été abordé en miroir de cette dynamique globale. La Tunisie, selon Yaïch, est « à l’intersection de toutes les tensions : budgétaires, technologiques, géopolitiques. » Il appelle à un réveil stratégique autour de trois leviers : souveraineté numérique, réforme du modèle économique, et valorisation du capital humain.
Et de conclure par une note d’optimisme mesuré : « Ce qui me donne espoir, c’est la prise de conscience des jeunes, des étudiants, des chercheurs. C’est vous, dans cette salle, qui devez porter une autre voie. Une voix tunisienne, mais aussi universelle. »
Une conférence fondatrice
Plus qu’une conférence, ce fut un acte de transmission. Celui d’un homme d’État devenu penseur stratégique. Celui d’une Tunisie qui, malgré ses fragilités, porte une voix singulière dans le concert des nations. L’IHEC Paris, par ce premier événement, n’a pas seulement ouvert un cycle académique. Elle a ouvert un débat mondial – depuis Tunis.





















