Alors que l’intelligence artificielle accélère la transformation mondiale, la donnée s’impose comme la ressource stratégique de l’économie moderne. La Tunisie, forte d’un capital humain de haut niveau et d’un écosystème technologique créatif, peine encore à transformer cette matière première immatérielle en vecteur de croissance. Entre retard d’infrastructures, dépendance numérique et absence de stratégie nationale, le pays se trouve à la croisée des chemins : saisir l’opportunité ou la laisser filer.
Une richesse immatérielle encore sous-exploitéé
La donnée constitue aujourd’hui l’un des principaux leviers de compétitivité. Chaque secteur tunisien — finance, santé, télécommunications, transport, agriculture, commerce, administration — génère quotidiennement des millions d’informations exploitables. Dans les économies avancées, elles alimentent des modèles prédictifs, améliorent la productivité, guident les décisions publiques et créent de nouveaux marchés. En Tunisie, cette richesse existe, mais elle demeure éparpillée, cloisonnée et rarement intégrée dans une vision globale capable d’en révéler tout le potentiel.
Un écosystème technologique dynamique, mais fragmenté
La Tunisie dispose d’atouts rares dans la région. Ses ingénieurs sont présents dans les plus grandes entreprises mondiales, ses startups innovent dans l’IA, la cybersécurité ou la santé digitale, et plusieurs services publics ont entamé une digitalisation progressive. Pourtant, ces initiatives fonctionnent trop souvent en silos, sans interopérabilité ni coordination centralisée. Les systèmes d’information publics se multiplient mais ne dialoguent pas entre eux, limitant la capacité d’exploitation nationale des données produites.
Une gouvernance éclatée et une dépendance technologique préoccupante
Le pays souffre d’une dispersion institutionnelle : ministères, instances régulatrices et structures techniques interviennent sans stratégie unifiée. Cette fragmentation freine la création d’un cadre solide pour la collecte, la sécurisation et la valorisation des données.
S’y ajoute une dépendance marquée aux clouds internationaux, qui hébergent une grande partie des données tunisiennes. Cette situation pose des questions de souveraineté numérique, de protection des données personnelles et de sécurité stratégique. Elle réduit aussi la capacité à bâtir un marché local de services autour de la donnée.
Une culture économique de la donnée encore balbutiante
Dans le tissu économique tunisien, la donnée reste souvent perçue comme un élément secondaire, technique, alors qu’elle constitue un actif stratégique à forte valeur ajoutée. Rares sont les entreprises qui la considèrent comme un levier de performance, de réduction des coûts ou de création de nouveaux services. Cette perception limitative explique l’absence de plateformes locales d’échange ou de commercialisation des données, ainsi que la faible adoption des outils avancés d’analyse et d’intelligence artificielle.
L’intelligence artificielle, un vecteur d’opportunités inédit
L’essor fulgurant de l’IA générative offre à la Tunisie une fenêtre d’opportunité historique. Le pays possède les compétences nécessaires pour devenir un pôle régional en matière d’IA, que ce soit dans le développement d’algorithmes, la création de solutions d’automatisation ou les services BPO/ITO enrichis par l’intelligence artificielle. Mais sans investissements dans la formation spécialisée, sans soutien massif à la recherche et sans infrastructures souveraines, cet avantage naturel risque de se diluer.
Un tremplin potentiel pour la croissance nationale
Une stratégie nationale claire dans l’économie de la donnée pourrait créer plusieurs milliers d’emplois qualifiés, améliorer la compétitivité des PME, attirer les investisseurs internationaux et moderniser les services publics. La donnée, lorsqu’elle est structurée et valorisée, devient un vecteur de productivité, d’innovation et de transparence. Elle constitue un levier capable d’entraîner l’ensemble de l’économie vers un nouveau cycle de croissance.
Un choix stratégique pour la décennie à venir
La Tunisie aborde une période décisive. L’économie mondiale se transforme rapidement, portée par la donnée et l’IA. Les pays qui réussiront seront ceux qui sauront sécuriser, structurer et valoriser leurs ressources immatérielles. La Tunisie dispose des talents, des compétences et des embryons d’écosystème nécessaires pour franchir ce cap. Reste désormais à prendre la décision politique et économique de faire de la donnée un pilier central de son modèle de développement.
Abou Farah





















