Par la rédaction de L’EXPERT
Alors que la Tunisie s’apprête à entamer une nouvelle ère sociale avec la réforme du Code du travail, plusieurs voix s’élèvent au sein du tissu économique national, en particulier chez les groupes de sociétés. Présentée comme une modernisation du cadre juridique du travail, cette réforme pourrait pourtant susciter des tensions, voire des remises en cause structurelles dans la manière dont ces groupes organisent et gèrent leurs ressources humaines.
- La fin des pratiques de mutualisation inter-entreprises ?
Les groupes de sociétés tunisiens ont souvent recours à des mécanismes de mise à disposition de personnel, de mobilité interne ou de prestations croisées entre entités juridiques distinctes. La réforme pourrait introduire des restrictions plus strictes sur le prêt de main-d’œuvre, imposer des niveaux d’encadrement réglementaire accrus, ou exiger une justification économique pour chaque transfert, y compris en interne.
Risque : une rigidification de la gestion interne du personnel, freinant la flexibilité organisationnelle des groupes multi-activités.
- Requalification des contrats et unité économique et sociale
La notion d’ »unité économique et sociale » (UES), bien que peu exploitée en droit tunisien jusqu’à présent, pourrait être renforcée par la réforme, dans une logique de protection accrue des salariés. Or, si l’administration ou les tribunaux reconnaissent une UES entre plusieurs sociétés d’un même groupe, les conséquences seraient lourdes : responsabilité solidaire sur les salaires, les obligations sociales et les licenciements collectifs.
Risque : les sociétés mères ou plus solvables pourraient être tenues responsables des dettes sociales des filiales ou des entités associées.
- Dialogue social complexifié
La réforme prévoit une consolidation des droits syndicaux et des instances représentatives du personnel. Dans les groupes, cela pourrait se traduire par :
- l’obligation de négociation à différents niveaux (filiale, holding),
- la création de comités d’entreprise multi-sociétés,
- des obligations renforcées de consultation avant toute restructuration, fusion ou externalisation.
Risque : une multiplication des interlocuteurs syndicaux, des délais de négociation accrus et un risque juridique en cas de non-respect du formalisme social.
- Risques contentieux accrus en cas de restructuration
Les groupes opérant dans des secteurs soumis à des ajustements fréquents (distribution, finance, télécoms, industrie) devront se montrer particulièrement vigilants. La réforme prévoit un encadrement renforcé des licenciements collectifs, un durcissement des critères de justification économique, et une surveillance accrue de l’inspection du travail.
Risque : blocage ou ralentissement des plans de restructuration, allongement des délais, et multiplication des recours juridictionnels par les salariés ou les syndicats.
- Conséquences fiscales et sociales indirectes
Si les mouvements de personnel entre filiales deviennent plus contraignants, les coûts salariaux pourraient augmenter (notamment en cas d’obligation de conclure des contrats indépendants pour chaque société du groupe). Par ailleurs, les avantages liés aux politiques RH globales pourraient être remis en cause (mutuelles, primes, échelles salariales harmonisées).
Risque : perte d’économies d’échelle dans la gestion des effectifs et complexification des audits fiscaux et sociaux.
Que faire pour anticiper ?
Face à ces incertitudes, les groupes de sociétés doivent dès maintenant :
- Effectuer un audit juridique de leurs pratiques RH actuelles,
- Cartographier les relations de travail inter-sociétés (prêts de main-d’œuvre, facturations internes, etc.),
- Mettre à jour les contrats de travail, les règlements internes et les conventions collectives,
- Et surtout, former leurs équipes RH et juridiques aux nouvelles exigences du Code du travail.
un cadre à reconstruire
La réforme du Code du travail vise à moderniser et sécuriser les relations professionnelles en Tunisie. Mais elle pourrait, paradoxalement, fragiliser certaines pratiques bien ancrées dans les groupes de sociétés. Pour ces acteurs majeurs de l’économie tunisienne, le défi est clair : s’adapter rapidement pour éviter le risque social, juridique et organisationnel.
ABOU FARAH





















