Alors que la guerre en Ukraine a bouleversé la carte énergétique mondiale, l’Europe cherche à réduire sa dépendance au gaz russe. Dans cette quête effrénée de nouvelles sources, le continent africain se retrouve propulsé au cœur des stratégies énergétiques européennes. L’Algérie, le Nigeria et le Sénégal s’imposent comme les nouveaux partenaires clés. Mais cette ruée vers le gaz africain soulève de nombreux enjeux économiques, géopolitiques et environnementaux.
L’Afrique, solution de rechange stratégique pour l’Europe
Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, l’Union européenne (UE) a été contrainte de diversifier en urgence ses approvisionnements énergétiques. Le gaz russe, qui couvrait autrefois près de 40 % des besoins du Vieux Continent, est désormais quasi proscrit, poussant Bruxelles à se tourner vers de nouveaux fournisseurs.
Dans ce contexte, l’Afrique se distingue par ses vastes réserves inexploitées. Trois pays en particulier sont au cœur de cette dynamique :
- L’Algérie, déjà fournisseur historique via des gazoducs vers l’Italie et l’Espagne, a augmenté ses exportations de 10 % en 2024.
- Le Nigeria, première puissance économique du continent, mise sur le mégaprojet de gazoduc Nigeria-Maroc, long de 7 000 kilomètres, qui pourrait approvisionner l’Europe à l’horizon 2030.
- Le Sénégal, avec le champ offshore de Grand Tortue Ahmeyim, attire les géants de l’énergie comme TotalEnergies et voit affluer les investissements européens.
Opportunités pour l’Afrique : manne financière et développement
Ce regain d’intérêt ouvre des perspectives économiques importantes pour les pays africains producteurs :
- Création d’emplois massifs dans la construction et la gestion des infrastructures gazières.
- Hausse des revenus étatiques : le Sénégal anticipe des recettes d’un milliard de dollars par an dès 2025.
- Amélioration des infrastructures locales, notamment l’électrification rurale, les routes et les réseaux de distribution.
Des risques bien réels : dépendance, tensions sociales et climat
Mais cette nouvelle ère énergétique n’est pas sans dangers. L’exploitation accrue du gaz expose le continent à plusieurs dérives :
- Dépendance aux hydrocarbures, au détriment des énergies renouvelables pourtant cruciales pour un développement durable.
- Tensions sociales dans les zones d’extraction, où les populations réclament une redistribution plus équitable des revenus générés.
- Impact environnemental : les fuites de méthane, très polluantes, et la dégradation des écosystèmes côtiers inquiètent les ONG.
L’Europe entre pragmatisme énergétique et ambitions climatiques
Coincée entre l’urgence d’assurer son approvisionnement et ses engagements climatiques, l’Europe navigue à vue. L’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050 pourrait être remis en cause par cette dépendance renouvelée aux énergies fossiles.
« L’Europe ne peut pas se contenter de délocaliser sa dépendance : elle doit soutenir les renouvelables en Afrique », avertit un rapport de l’ONG Global Witness, qui dénonce une logique extractiviste contraire aux principes du développement durable.
Un nouvel échiquier géopolitique en construction
La recomposition énergétique mondiale attire d’autres acteurs majeurs :
- Les États-Unis soutiennent les partenariats Afrique-Europe, dans une logique de containment de l’influence russe.
- La Chine, très active via ses entreprises publiques comme CNOOC, multiplie les accords en Afrique de l’Ouest.
- Les ONG dénoncent des contrats asymétriques, où les intérêts des communautés locales sont trop souvent négligés.
Un tournant stratégique
Le gaz africain représente une opportunité inédite de coopération euro-africaine, mais le défi sera de concilier les intérêts énergétiques de l’Europe, les aspirations de développement de l’Afrique et les impératifs environnementaux mondiaux. Le sort de cette alliance énergétique se jouera dans les mois à venir, entre négociations contractuelles, mobilisation citoyenne et pression climatique.
L’Afrique, eldorado gazier ? Peut-être. Mais à quel prix, et pour combien de temps ?