Le projet de budget pour 2026 qui est en cours d’examen à l’ARP, prévoit le recrutement de 23.000 nouveaux fonctionnaires. Après des années de blocage des recrutements, les précédents gouvernements ont autorisé des recrutements ciblés pour le compte du ministère de l’intérieur, de la santé et de l’éducation nationale.
C’est la première fois depuis des années qu’on prévoit autant de recrutements. Mais cette disposition pose plusieurs questions :
- Quel sera l’impact de ces recrutements sur la masse salariale et surtout son rapport au PIB national ?
- Que vont faire ces 23.000 nouveaux fonctionnaires surtout qu’aujourd’hui plusieurs administrations sont en surcharge et que la productivité dans la fonction publique est négative ?
- Ces recrutements vont-ils améliorer la qualité du service public ?
Une administration obèse et non-productive :
L’article 9 du projet de loi des finances fixe à 687 000 le nombre total d’agents autorisés dans la fonction publique au titre de 2026, couvrant les ministères, services centraux et régionaux, ainsi que les établissements publics rattachés au budget de l’État, contre 663.757 agents en 2025. Ces chiffres ne prennent pas en considération les fonctionnaires des entreprises et établissements publiques.
L’année en cours et selon la loi des finances verra le recrutement de 21 376 agents dont 9207 dans l’éducation et 3500 pour le ministère de la santé. Une grande partie de ces recrutements est dans le cadre de la régularisation de la situation des intérimaires.
La masse salariale dans la fonction publique en Tunisie est la plus importante dans le monde. Elle est passée de 11.5 milliards de dinars en 2015 à 24.3 milliards de dinars en 2026, soit une hausse de plus de 100% en 10 ans. Pourtant la part de cette masse salariale a nettement baissé passant de 13,3% du PIB en 2025, contre 13,6% en 2024, et loin des 16,1% de 2020. Mais elle reste importante au niveau du budget de l’Etat. Pour 2026, et pour un budget de 67 milliards de dinars la masse salariale va représenter 36%. L’emploi dans l’administration tunisienne représente plus de 20% de l’emploi total.
Malgré l’importance de ces fonctionnaires ils ont malheureusement une productivité négative. Selon l’ITCEQ La productivité du facteur travail dans l’administration est de -0.6% en 2022, -0.1% en 2023 et -0.7% en 2024.
Selon un récent rapport publié au mois de Juillet 2025 par la BAD intitulé « Public Service Delivery Index » la Tunisie a été classée 8ème à l’échelle africaine en matière de fourniture des services publics avec un score de 53.68/100. La moyenne africaine étant de 45.39/100.
Et pourtant, l’administration publique tunisienne jouit d’une mauvaise appréciation par les citoyens, surtout les administrations en relation avec le milieu des affaires (douane, agences d’accompagnementn…).
Digitaliser, réformer, mieux que recruter :
Loin de ces chiffres qui donnent une idée d’un point de vue macro-économique, est-ce que l’administration tunisienne nécessite un tel recrutement massif ?
La Tunisie compte déjà 1 fonctionnaire pour 16 habitants, ce qui est très important. Ces habitants jugent à raison que la qualité des services administratifs est médiocre. Les premiers éléments qui détériorent le milieu des affaires pour les investisseurs sont la bureaucratie et les procédures administratives.
Plusieurs projets de réformes pour l’administration tunisienne ont été entamés mais qui n’ont jamais abouti, ou sont restés au niveau des études tel que le projet des fiches de fonction, ou la création des cadres de la haute administration, ou la mobilité fonctionnelle, ….
L’administration tunisienne est devenue un grand paquebot qui marche lentement sans véritable cap.
Malgré les hausses successives des salaires, les fonctionnaires sentent qu’ils sont mal rémunérés et méritent plus le salaire qu’ils touchent qui ne permet pas de joindre les deux bouts. En l’absence d’un système d’évaluation des compétences, ou de valorisation du travail, ce sentiment perdurera. Ceux qui travaillent pleinement dans l’administration publique jugent qu’il y a des milliers qui touchent un salaire sans rien faire et dénoncent une injustice administrative.
L’administration tunisienne manque aussi cruellement de moyens malgré les dépenses qui sont engagés chaque année pour l’amélioration de la qualité du service public.
Les fonctionnaires ne sont plus motivés car il n’y a aucun système de motivation. Tous les fonctionnaires sont égaux quelque soit leur rang et leur rendement. Dans certaines administrations, l’ouvrier touche une prime de contrôle identique à celle d’un directeur général ou d’un contrôleur sur terrain.
Cette situation a mené plusieurs compétences à quitter la fonction publique pour d’autres horizons. Le phénomène est très perceptible au niveau des médecins, cadre médical et ingénieurs.
La décision de recruter 23.000 nouveaux fonctionnaires, revêt à notre sens un aspect populiste pour absorber une grande partie des chômeurs. Ces recrutements ne partent pas d’un besoin urgent pour l’amélioration de la qualité des services publics ou le remplacement d’un nombre équivalent de retraités.
Cette mesure vient aussi s’ajouter à un projet de loi qui sera examiné incessamment pour le recrutement direct des chômeurs diplômés et la promesse du président de la République pour le recrutement direct des docteurs en chômage (près de 1500). Donc le chiffre de 23.000 risque d’être largement dépassé l’année prochaine.
Il est évident que l’amélioration de l’administration tunisienne ne passe pas par ces recrutements massifs, mais par une réforme qui améliore le système de formation des fonctionnaires, le système de motivation, le redéploiement des ressources humaines selon les besoins. La bourse de la mobilité des fonctionnaires n’enregistre pas un grand engouement depuis sa création. L’administration peut se développer, non pas par les nouveaux recrutements mais par l’instauration d’un système d’évaluation objectif du rendement qui récompense le mérite.
Un travail de fond doit aussi être fait au niveau de l’amélioration de la relation entre l’administration et ces « clients » que ce soient citoyen ou entreprises, et ceci passe par une révision de toute une culture administrative archaïque.
L’argent qui va être donné à ces nouveaux fonctionnaires, doit être investi dans la digitalisation de l’administration pour rapprocher les services administratifs, limiter les contacts et combattre la corruption et l’arbitraire.
Recruter pour plaire, signifie qu’on va engraisser une vache déjà à 4 pattes.