Alors que le dinar tunisien reprend timidement des couleurs face au dollar américain, les analystes s’interrogent : assiste-t-on à un véritable renversement de tendance ou à une accalmie conjoncturelle ? Les implications de cette évolution sont multiples, et les répercussions s’observent déjà sur les prix à la consommation, la balance commerciale, ainsi que sur la santé financière des entreprises exportatrices.
Un renversement discret mais significatif
Le mois de juin 2025 a confirmé une tendance qui s’amorçait depuis le printemps : la dépréciation progressive du dollar américain face au dinar tunisien. Le taux de change moyen enregistré durant le mois s’est établi à 2,9448 dinars pour 1 dollar, contre 3,20 dinars en janvier 2025, soit une baisse de près de 8 % sur six mois. Le dollar a atteint un point bas à 2,8943 TND, avant de remonter légèrement, traduisant une volatilité que les marchés tunisiens n’avaient plus connue depuis la période post-COVID.
Cette évolution n’est pas uniquement liée à des facteurs internes. Sur le plan international, le ralentissement économique américain, la politique monétaire plus prudente de la Réserve fédérale (FED) et la remontée des taux d’intérêt dans les économies émergentes ont réduit l’attractivité du dollar. En parallèle, la Banque centrale de Tunisie (BCT) a adopté une posture plus agressive en matière de stabilité monétaire, ce qui a indirectement soutenu le dinar.
Des avantages conjoncturels pour les ménages et les importateurs
Première conséquence tangible : le renforcement du pouvoir d’achat sur les produits importés. Pour un Tunisien important un bien facturé 100 USD, la facture est passée d’environ 320 TND début 2025 à 295 TND en juin, une économie immédiate de 25 dinars.
« Cette évolution a un effet mécanique sur les prix à l’importation, en particulier pour les produits alimentaires, les intrants industriels et les équipements technologiques », souligne l’économiste Moez Labidi.
L’impact est d’autant plus bénéfique dans un contexte d’inflation persistante : selon l’INS, l’inflation annuelle en Tunisie s’est légèrement contractée, passant de 9,3 % en février à 8,6 % en juin 2025, en grande partie grâce à la baisse des prix à l’importation libellés en dollars.
Un soulagement pour la balance commerciale, mais un cadeau empoisonné pour les exportateurs
Du côté de la balance des paiements, cette situation pourrait contribuer à réduire le déficit commercial, en limitant le coût des importations tout en maintenant une compétitivité relative des exportations, notamment vers les pays européens.
Mais cette lecture optimiste est nuancée par les réalités vécues par les entreprises exportatrices tunisiennes, en particulier dans les secteurs du textile, de l’agroalimentaire et des services IT, fortement tournés vers le marché américain ou le dollar comme monnaie de facturation.
« Un dollar plus faible signifie que nous recevons moins de dinars pour la même quantité de devises. Nos marges s’effritent », confie un responsable d’une société textile basée à Sousse, exportant vers les États-Unis.
L’effet est d’autant plus marquant pour les entreprises dont les coûts restent en dinar mais dont les revenus sont en devise. À l’inverse, les entreprises endettées en dollars peuvent tirer parti de cette situation, leurs remboursements devenant moins onéreux en monnaie locale.
Volatilité et incertitudes : l’autre face de la médaille
Au-delà des effets comptables, la volatilité du taux de change constitue un facteur de risque important. Pour les investisseurs étrangers, cette incertitude peut refroidir l’appétit pour le marché tunisien, déjà fragilisé par des tensions politiques et une faible croissance.
La Banque centrale de Tunisie reste prudente. Dans son dernier rapport sur les indicateurs monétaires, elle alerte sur la nécessité de maintenir un équilibre macroéconomique : une trop forte appréciation du dinar pourrait nuire à la compétitivité des exportations, tandis qu’un dollar trop faible expose le pays à une baisse de ses recettes en devises.
« Il ne faut pas s’enthousiasmer trop vite. Une dépréciation du dollar, si elle n’est pas maîtrisée, peut désorganiser les chaînes d’approvisionnement et affecter l’attractivité de la Tunisie comme plateforme de production offshore », estime un ancien cadre de la BCT.
Bilan : une opportunité à encadrer, non un levier durable
Bénéficiaires | Effets positifs | ||
Ménages / consommateurs | Baisse des prix des biens importés – meilleure accessibilité | ||
Entreprises importatrices | Réduction des coûts – amélioration de la trésorerie | ||
Entreprises endettées en USD | Allègement du service de la dette | ||
Banque centrale | Détente sur l’inflation et les réserves | ||
Impactés négativement | Conséquences | ||
Exportateurs en dollar | Perte de compétitivité – baisse des revenus | ||
Investisseurs étrangers | Volatilité monétaire – incertitudes sur les rendements | ||
Budget de l’État (recettes en devises) | Baisse des rentrées fiscales sur les exportations en dollar | ||
Quelles perspectives à moyen terme ?
Pour certains experts, cette situation est une fenêtre de tir pour repenser la stratégie économique tunisienne. Il s’agirait de diversifier les monnaies de facturation, notamment en favorisant les échanges en euro ou en dinar, et de renforcer la production locale pour réduire la dépendance aux importations.
Le ministère du Commerce travaille d’ailleurs sur une série de mesures incitatives en ce sens, notamment à travers un programme de relocalisation industrielle et d’accompagnement des PME exportatrices.
Mais la principale inconnue reste l’évolution de la politique monétaire américaine. Si la FED reprend une politique de hausse des taux, le dollar pourrait se redresser rapidement, inversant brutalement la tendance actuelle.
un répit sous conditions
La baisse du dollar face au dinar tunisien représente une accalmie bienvenue pour les ménages et les importateurs. Elle constitue un facteur de stabilisation à court terme, dans une conjoncture économique encore fragile.
Mais cette dynamique reste réversible et porteuse de risques pour certains pans de l’économie. Pour en tirer durablement parti, la Tunisie devra renforcer ses filets de sécurité économiques, stabiliser ses fondamentaux, et anticiper les chocs futurs sur le marché des changes.
Par la rédaction de LEXPERTjournal.net – Juillet 2025