Hammamet, 3 mai 2025 — C’est dans le cadre prestigieux de la conférence internationale TICEFA 2025 (Tunisia International Conference on Economics, Finance and Accounting), organisée à l’hôtel Magic Life El Manar à Hammamet Nord, que s’est déroulée une intervention aussi inattendue que marquante : celle de Nizar Yaïche, ancien ministre tunisien des Finances.
Organisée conjointement par trois laboratoires de recherche de référence — LARIMRAF (Laboratoire de Recherche sur l’Innovation, la Modélisation et la Régulation en Assurance et Finance), IFGT (Institut de Finance et Gestion de Tunis), et GFC (Gouvernance Financière et Comptable) —, cette édition 2025 est placée sous le thème “Ethical Finance in AI Era: Pathways to Sustainability”. Elle réunit, les 3 et 4 mai, des universitaires tunisiens et internationaux, des professionnels de la finance et des experts du numérique autour des grands enjeux de l’éthique, de l’intelligence artificielle et de la gouvernance économique.
Un virage politique dans une conférence académique
Face à un auditoire composé d’universitaires, de journalistes et de chercheurs, Nizar Yaïche a rapidement quitté les sentiers classiques des exposés économiques. Moins universitaire que politique, il a livré un discours à fort contenu idéologique, presque géostratégique. Sa proposition audacieuse : œuvrer à la création d’une monnaie arabe unique, qu’il juge indispensable pour accélérer l’intégration économique régionale.
Une telle ambition, a-t-il reconnu, ne va pas sans défis. Mais à ses yeux, elle est « difficile mais pas impossible », citant le cas de la Chine comme exemple de transformation radicale à l’échelle d’un siècle. « Ce que le monde arabe manque, ce ne sont pas les ressources mais la vision commune », a-t-il ajouté, appelant à un sursaut collectif.
La monnaie unique comme levier de souveraineté
Dans une époque marquée par la fragmentation monétaire, l’ancien ministre a plaidé pour l’unification progressive des politiques monétaires arabes, en insistant sur le fait qu’une monnaie régionale serait « un outil stratégique incontournable pour peser face aux blocs occidentaux et asiatiques ». Une vision qui a rapidement suscité des débats passionnés dans la salle, certains y voyant un idéalisme mal ancré dans la réalité géopolitique, d’autres saluant le courage d’une pensée transversale et long-termiste.
Alerte sur les dérives technologiques et l’éthique financière
Revenant sur le thème central de la conférence, Yaïche a alerté sur les dérives de la finance numérique, en particulier dans l’univers des crypto-monnaies. Selon lui, la logique spéculative a pris le dessus sur l’innovation réelle, sapant la promesse de transformation portée par des technologies comme la blockchain. Il a dénoncé une « financiarisation déconnectée de la valeur réelle », où l’éthique est souvent sacrifiée au profit du gain immédiat.
Il a également tiré la sonnette d’alarme sur les pratiques parfois douteuses dans le domaine des microfinances, censées servir l’inclusion mais souvent utilisées, selon lui, pour imposer des taux abusifs aux entrepreneurs les plus vulnérables.
Entre conférence et tribune politique
Si l’intervention de Yaïche a apporté une profondeur géopolitique inattendue à un colloque principalement académique, elle n’a pas laissé indifférent. Certains participants ont salué la hauteur de vue, d’autres ont exprimé leur malaise face à une discours jugé trop politique pour le cadre scientifique de TICEFA. Un chercheur a confié : « Il a électrisé la salle, mais ce n’est pas ce que nous étions venus entendre ».
TICEFA 2025, qui se clôturera le 4 mai, continue de proposer panels, keynotes et débats sur la finance éthique à l’ère de l’intelligence artificielle. Mais l’intervention de Nizar Yaïche restera comme l’un des temps forts de cette édition, marquant le retour sur scène d’un ancien ministre qui se rêve désormais en architecte d’un ordre monétaire arabe nouveau.