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Rapport 2012 sur le développement en Afrique : Vers une croissance verte en Afrique

 

demographie

 

La croissance enregistrée récemment en Afrique est le résultat de plusieurs années de réformes entreprises par différents pouvoirs publics, ainsi que d’une forte hausse de l’extraction et de l’exportation des ressources naturelles. Afin de soutenir cette croissance et de la rendre plus inclusive, des axes de politiques devront être retenus sur le long terme. Les répercussions des pratiques actuelles sur la durabilité des actifs naturels, qui représentent une source de revenu pour la grande majorité de la population en Afrique, sont importantes. Le secteur agricole, par exemple, emploie environ 60 % de la population globale en Afrique et contribue pour un tiers du PIB. Au regard des enjeux du 21e siècle, tels que le changement climatique et la croissance démographique, l’Afrique est contrainte d’adopter un nouveau modèle de croissance, notamment la croissance verte.

La croissance verte se conçoit de façon différente selon les régions et les contextes. Cependant, le rapport adopte la définition retenue au sein de la Banque africaine de développement (BAD). Selon la Banque, la croissance verte provient de « la promotion et l’optimisation des opportunités découlant de la croissance économique à travers la création des conditions favorables à la résilience et la gestion efficace et durable des ressources naturelles, y compris l’amélioration de la productivité agricole et l’incitation au développement d’infrastructures durables ».

Redressement économique de l’Afrique

Après plusieurs décennies de morosité économique, la plupart des pays africains ont connu, au cours des 15 dernières années une croissance économique soutenue. Certains pays africains se classent désormais parmi les pays ayant connu une croissance rapide dans le monde. Entre 2001 et 2012, le taux moyen de croissance du PIB en Afrique était de 5,2 %. Même si la crise mondiale de 2009 a frappé de plein fouet l’Afrique, les effets y ont été moins sévères que dans la plupart des autres régions (BAD et al., 2011).

Le continent a enregistré des progrès remarquables dans un contexte de crise mondiale (notamment la crise de la dette en Europe), de chocs sur les marchés causés par la sécheresse en Afrique de l’Est et de l’Ouest et suite à une série de chocs importants dans certains pays, y compris les conséquences des conflits civils dans des pays africains tels que la Côte d’Ivoire ou le Mali. Ainsi, même en prenant en compte les effets de ces crises et les effets du printemps arabe en Afrique du Nord, qui ont ralenti la croissance pourtant soutenue, la croissance du continent africain a fait preuve de résilience, rebondissant fortement à près de 7 % en 2012. Les perspectives à moyen terme sont également solides avec une croissance attendue de près de 5 % en moyenne entre 2013 et 2014.

En dépit de ces avancées, de nombreux défis subsistent. Comme l’indique la figure, l’Afrique est toujours à la traîne, en termes de PIB par habitant, derrière d’autres régions en voie de développement, telles que l’Asie de l’Est, le Pacifique et l’Amérique latine. Les fondements de la croissance sur le plan environnemental et en termes de lutte contre la pauvreté se sont progressivement érodés. Dans certains pays du continent, la croissance a principalement été tirée par un taux élevé d’extraction ou d’épuisement des ressources naturelles telles que les produits forestiers, les carburants fossiles, les terres agricoles, et les ressources halieutiques et minérales (BAD, 2012 ; Sperling et al., 2012). Les données disponibles révèlent qu’entre 2000 et 2005, plus de 50% de la destruction globale des forêts du monde est attribuable à l’Afrique. L’eau se fait de plus en plus rare étant donné que l’augmentation de la population et le développement agricole et industriel contribuent à l’accroissement des besoins en eau. La plupart des aquifères disparaissent progressivement (Oteino, 2013 ; Stock 2004).

 

Il existe une très forte relation inverse entre la croissance économique et les taux de pauvreté en Afrique. Toutefois la croissance n’est pas inclusive. Les inégalités sociales sont bien plus marquées en Afrique que dans les autres régions du monde, à l’exception de l’Amérique latine (Günther et Grimm, 2007). En 2011, parmi les dix pays où les inégalités sont les plus accentuées dans le monde, six sont des pays d’Afrique : la Namibie, l’Afrique du Sud, le Lesotho, le Botswana, la Sierra Leone et la République centrafricaine (les deux derniers étant des États fragiles). De plus, la création d’emplois est insuffisante et la population active ne bénéficie pas de la protection sociale.

Pour résoudre ces problèmes de dégradation environnementale et d’inégalité tout en maintenant les tendances de la croissance, les pays africains devraient opter pour un processus de croissance verte.

L’Afrique au 21e siècle

La croissance vertedevient de plus en plus nécessaire au regard des tendances mondiales et régionales du 21e siècle, en particulier en ce qui concerne les changements climatiques et la croissance démographique. Les effets du changement climatique sont de plus en plus visibles sur la planète, et il est désormais admis que les activités humaines en sont la cause principale (GIEC, 2007a). La gestion des risques liés au changement climatique est depuis longtemps un enjeu essentiel en matière de développement (p. ex., BAD et al. 2003). La croissance démographique présente à la fois des opportunités et des défis. D’un côté, elle sous-entend une main d’œuvre productive potentiellement plus abondante, à condition que les mesures adéquates en termes de formation soient mises en œuvre et que des opportunités d’emplois soient créés. De l’autre, la croissance démographique implique qu’un plus grand nombre de personnes devront utiliser les ressources naturelles alors que les biens et services issus des écosystèmes se raréfient (MEA 2005). La croissance verte met l’accent sur l’amélioration de l’usage efficace des ressources naturelles, la réduction des déchets et de la pollution et l’amélioration de la résilience afin de préparer l’Afrique à répondre aux demandes d’une population accrue et à s’adapter au changement climatique.

Croissance démographique en Afrique

La population en Afrique devrait doubler entre 2010 et 2050, comptant ainsi pour presque la moitié de la croissance démographique mondiale sur cette période (voir la figure). D’ici 2025, la population africaine devrait dépasser celle de la Chine et, d’ici 2030, l’Afrique sera plus peuplée que l’Inde. D’ici 2050, une personne sur quatre dans le monde sera africaine. De plus, 9 personnes sur 10 en Afrique résideront en Afrique Subsaharienne.

Cette croissance démographique présente de réelles opportunités économiques, surtout en ce qui concerne la population active mais aussi de nombreux défis. Si le continent continue à évoluer de cette façon, la taille de l’économie africaine en 2050 sera plus grande que celle de la Chine en 2010 ce qui posera de vrais problèmes au regard des émissions de gaz à effet de serre. Mais bien avant cela, une trop forte croissance démographique pourrait engendrer des contraintes notables en termes de disponibilité des ressources notamment la lutte pour l’appropriation des terres et de l’eau par les municipalités et des industries avec des effets négatifs potentiels sur les opportunités de croissance.

Rôle de la croissance verte dans la promotion d’une croissance et de modes de développement plus durables

L’Afrique reste le continent le plus pauvre du monde. Les taux de famines chroniques sont les plus élevés au monde et le pourcentage de population ayant accès à l’électricité est le plus bas. La réduction de la pauvreté et l’amélioration des perspectives de subsistance de la population demeurent des priorités absolues. Fort heureusement, certaines pratiques et technologies dans le domaine de la croissance verte ne se contentent pas uniquement d’encourager une croissance durable mais elles répondent également à des besoins de développement à court terme. Il pourrait néanmoins exister en pratique un compromis entre les solutions liées à la croissance verte et la satisfaction des besoins socioéconomiques immédiats. Par exemple, la déforestation est souvent la conséquence de l’augmentation des exportations de produits forestiers, d’une expansion de l’agriculture et de l’usage domestique d’un combustible abordable tel que le bois. De même, les pays dotés de combustibles fossiles peu chers risquent d’avoir du mal à intégrer un processus de croissance verte dépendant de technologies plus coûteuses. A cet égard, l’enjeux principal pour le continent consiste à s’assurer de la satisfaction des besoins de développement à moyen-terme, tout en atteignant des une trajectoire de développement qui ne remette pas en cause les perspectives de croissance économique et la soutenabilité du mode de développement sur le long terme. La sous-section suivante traite du rôle et des avantages des pratiques et technologies vertes en ce qui concerne les secteurs des ressources naturelles et de l’énergie.

 

Transfert de technologies en vue d’une croissance verte en Afrique

L’accès aux technologies peut constituer un facteur important pour accélérer le passage à une stratégie réussie de croissance verte. Le transfert de technologie (TT) peut accroître la productivité des terres en Afrique en facilitant les réductions d’utilisation de l’eau, de fertilisants, de pesticides, d’énergie et d’autres apports. Il peut également améliorer les techniques d’irrigation et de gestion des sols. Dans la gestion des pêcheries, l’évolution des équipements et des techniques peut améliorer l’évaluation des stocks, ainsi que l’efficacité à trouver, récolter, gérer, exploiter et distribuer les ressources et les produits aquatiques (FAO, 2012). L’agriculture et la pêche étant toutes deux fortement liées en tant que sources de sécurité alimentaire et de l’eau. Par conséquent, le transfert de technologie ciblant ces secteurs constitueun moyen de faire face à l’insécurité alimentaire et aux problèmes des pénuries d’eau.

Financement de la croissance verte en Afrique

Des ressources financières sont nécessaires pour une mise en œuvre réussie des stratégies de croissance verte. À l’échelle mondiale, par exemple, les besoins de financement annuel de la croissance verte sont estimés à un montant compris entre 1,05 billion et 2,59 billions de dollars américains entre 2011 et 2050 (PNUE, 2011). Néanmoins, la question de savoir combien coûteront les modèles de croissance « verte » à l’échelle mondiale doit être accompagnée de la question inverse : combien l’économie mondiale dépensera-t-elle si elle poursuit le scénario de statu quo? Sur la question, les prévisions estiment que le coût du deuxième scénario (l’inaction) finira par être plus élevé que dans le premier cas, du moins dans le moyen et long terme.

Dans un contexte plus large de croissance verte, les effets des changements climatiques illustrent que le coût de l’inaction pourrait finir par s’avérer plus élevé que celui de l’action. Le rapport Stern a estimé que réduire les émissions pour éviter les pires conséquences du changement climatique représentait un coût annuel d’environ 1 % du PIB mondial. Cela signifie qu’il faudrait adopter des modèles de développement produisant moins de carbone et stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui limiteraitle réchauffement climatique mondial à environ 2 °C. En revanche, le coût du scénario de maintien du statu quo et des effets liés aux changements climatiques persistants, tels que le déclin de la production agricole, les vagues de chaleur, les sécheresses, inondations et autres catastrophes, est estimé à un taux de 5 à 20 % du PIB mondial par an. En fonction du taux d’actualisation, cette estimation implique que le coût de l’inaction peut dépasser celui de l’action d’un facteur compris entre 5 et 20.

Le montant requis pour la croissance verte met en évidence le besoin d’étudier diverses options de financement. Pour les pays africains, il existe plusieurs stratégies pour financer la croissance verte. Elles incluent l’optimisation de l’utilisation efficace des ressources et des gains de productivité dans les secteurs prioritaires ; la réduction des coûts budgétaires en réaffectant les subventions ; la levée de fonds de financement de la croissance verte à l’échelle mondiale ; l’établissement de partenariats publics-privés ciblés et l’exploitation d’autres outils des politiques budgétaire et de l’environnement.

Création d’un environnement favorable à la croissance verte

La transition vers une croissance inclusive et de plus en plus verte prendra du temps et nécessitera des efforts. Il en faut davantage : un environnement propice, des politiques, des structures institutionnelles, des capacités techniques et des mécanismes d’encouragement.

Voici venue, au 21e siècle, l’occasion rêvée pour l’Afrique de récolter de considérables fruits en matière de développement ! Mais un tel progrès ne peut s’accomplir durablement que si le continent se prépare et s’adapte à la fois aux mutations d’ordre socioéconomique et environnemental en cours. L’Afrique doit d’ailleurs réaliser une analyse multisectorielle et oeuvrer pour une collaboration entre différents secteurs d’activités pour relever les défis les plus complexes.

Il existe différents leviers pour promouvoir la croissance verte et encourager la transition vers des économies plus vertes en Afrique. Le point le plus stratégique consiste à intégrer progressivement la croissance verte dans une planification de développement en amont et à veiller à une mise en place d’environnement institutionnel favorable. Les points d’entrée majeurs pour l’intégration de la croissance verte sont les cycles nationaux de planification du développement.

Les Plans nationaux de développement et les Documents de stratégie de réduction de la pauvreté définissent les priorités de développement d’un pays, dont celles de l’investissement. Les objectifs de développement spécifiques, comme l’augmentation de la productivité agricole et l’accès à l’énergie, peuvent être mis en œuvre en utilisant différentes approches alternatives. Mettre l’accent sur la croissance verte signifie réaliser les diagnostics nécessaires en amont pour déterminer lesquelles de ces approches sont les plus appropriées à un pays précis, d’un point de vue économique, social et environnemental. Les petits leviers de la croissance verte se trouvent en aval ; ils se concentrent sur l’intégration des principes d’utilisation efficace, durable et résiliente de ressources dans la conception des programmes et projets de développement.

Une synthèse de Raoul FONE

Source : Rapport 2012 sur le développement en Afrique (BAD)

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