Tellement les choses vont mal dans ce pays, on veut toujours les attribuer à des forces surnaturelles. On parlait toujours d’un Etat profond, ou d’un Etat parallèle, qui manipule la scène politique et économique dans le pays. La terminologie a été largement utilisé par Moncef Marzouki, et actuellement par notre président Kais Said. On les nommes « ATRAF », « Les traitres », …., mais personne n’ose les nommer ou les identifier. Nos présidents ne sont pas les seuls à utiliser ce terme de « Deep state », il est largement utilisé aussi par des présidents de pays forts telle que la France ou les USA, pour désigner les théories conspirationnistes. Quelle est l’origne de ce terme, et qui sont réellement les acteurs de cet Etat profond chez nous ?
Origine et utilisation du terme « Deep State » :
Le terme « Etat profond » a une connotation purement politique, et qui désigne une entité ou un groupement informel qui a des pouvoirs de manipuler, de guider et d’orienter les décisions des pouvoirs publics. Certains analystes considèrent que l’Etat profond n’est pas autre que les lobbyistes et les groupes de pression, car dans la démocratie l’Etat parallèle ne doit pas exister.
Le terme a été utilisé, historiquement par un premier ministre turque, pour désigner le soulèvement de certains généraux de l’armée. Récemment il fut utilisé par les supporters de Donald Trump appartenant à l’extrême droite pour identifier ceux qui veulent bloquer le pays et destituer le président américain.
Il a même été utilisé par le président français Emanuel Macron, pour désigner les groupes qui veulent empêcher le rapprochement avec la Russie.
« Le chercheur Jon D. Michaels d’UCLA remarque que le terme de deep state, observé par la science politique, désigne la fonction publique, avec toutes ses inerties et, parfois, ses blocages. Le terme de deep state comme entendu par les complotistes est approprié dans les pays dont les institutions sont capturées par une élite non-contrôlée, comme le Pakistan ou l’Égypte, « où des élites de l’ombre, appartenant à l’armée ou aux ministères, sont connues pour bloquer les décisions des autorités démocratiquement élues », plutôt qu’aux États-Unis, où le pouvoir et ses administrations sont connues et presque entièrement transparentes (source : wikepedia) »
L’ancien Ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine considère que « la grande force de l’État profond, c’est l’inertie, pas le complot ».
L’Etat profond n’est pas donc une spécificité des états en développement ou autoritaires, mais il est aussi une caractéristique des Etats démocratiques et développés.
Qui sont les acteurs de l’Etat profond en Tunisie ?
Nous gardons en mémoire comment deux jeunes journalistes ont piégé Farhat Rajhi alors ministre de l’intérieur qui pour la première fois dénonce l’état profond à sa tête l’homme d’affaire Kamel Ltaief .
Le chef du parti Ennahdha a confié à un de ses disciples son étonnement de voir le grand nombre des dirigeants politiques ruer après chaque réunion pour informer Letaief des tenants et aboutissants des pourparlers.
C’est notre cher président Kais Said, qui a largement utilisé le terme ou son homonyme d’Etat profond. Il ne rate pas une occasion pour dénoncer des forces de l’ombre qui complotent contre l’Etat, et qui veulent bloquer le processus démocratique et le bon fonctionnement des institutions. Notre cher président avoue même qu’il les connaît très bien, et qu’il arrivera le moment pour les dénoncer. Or, à ce jour rien n’a été déclaré, et ces « ATRAFS » (parties), demeurent incognito.
Nous allons essayer d’aider à les identifier, c’est-à-dire ceux qui ont un impact direct ou indirect sur la scène politique et économique en Tunisie, et qui font beaucoup de lobbying pour contrôler les décisions gouvernementales.
On retrouve en premier les monde des affaires, ou les hommes d’affaires influents et puissants dans le pays. L’ex représentant de l’union européenne en Tunisie Mr Bergomini a déclaré que l’économie tunisienne est contrôlée par 4 ou 5 familles puissantes, et qui représentent les grands holdings tunisiens. Cette déclaration, qui dépasse les limites des règles de la diplomatie, a été largement dénoncé par le milieu des affaires tunisiens. Or, avouons-le, il y a beaucoup de vrai dans ce qu’il a dit.
Pour matérialiser cette puissance informelle, il existe beaucoup d’hommes qui financent les parties politiques les plus représentés afin de pouvoir les contrôler lorsqu’ils accèdent au pouvoir. Une pratique légitime, pour certains, mais les dérives à ce niveau sont monnaie courante. Les affaires sur ce dossier ne manquent pas. Des décrets et des lois ont été promulgués à la taille de certains hommes d’affaires.
L’autre acteur de cet Etat profond et qui pèse bien dans la balance est représenté par les professions libérales. On parle beaucoup d’un corporatisme, que ce soit dans le parlement, dans l’administration ou dans les parties politiques. Ces professions libérales sont surtouts les avocats, les experts comptables, les médecins, les pharmaciens, ….qui essayent d’orienter ou d’imposer leurs visions et préserver leurs propres intérêts. On se rappelle surtout de certains articles d’anciennes lois des finances et qui ont été largement contestées par certaines professions (les avocats, les médecins…).
La scène médiatique tunisienne, ou les médias tunisiens, ont aussi un grand poids dans l’orientation des décisions gouvernementales. On dénonce même des hommes politiques qui contrôlent des médias avec leur couleur politique. Mohamed Abbou a dénoncé cette pratique, et a même annoncé qu’il existe 4 télévisions qui ont des affinités avec le parti Ennahdha. Les élections présidentielles de 2019 ont dévoilé au grand jour cette tendance, avec une télé pour Nebil Karoui, une autre pour Abdelkarime Zbidi, et une autre pour Youssef Chahed. Ces médias ont un impact important sur l’opinion publique et représentent un acteur très actif dans l’Etat profond.
Ces médias louent aussi les services de certains chroniqueurs, qui sont devenus au fil du temps des leaders d’opinion et qui orientent considérablement la scène publique tunisienne, tel que Haythem Mekki de Mozaique, Habib Bouajila de « RDV9 », ou Zied Krichene l’analyste de « Midi show », et la liste est longue.
Certaines associations en Tunisie, et principalement ceux financés par des bailleurs de fonds étrangers, ont su s’imposer comme un acteur principal dans la scène politique. Ils ont même conduit à des arrestations et dévoilés des scandales politiques et financiers importants. On cite à ce titre, l’association « I watch », ou « Bawsala ». Si c’étatit un bon signe de bonne santé pour notre démocratie, ces associations sont devenues tellement puissantes qu’ils ont obtenu un pouvoir hors norme d’orientation des décisions publiques.
La succession de gouvernements en Tunisie, a largement affecté l’administration tunisienne. La pratique la plus courante fut que chaque ministre qui s’installe, il essaye de s’entourer des compétences qui sont de leur couleur politique. On parle de « minage » de l’administration à travers la nomination des directeurs généraux ou des PDG, qui sont loyaux. Cette pratique a fait que des partis politiques ont pu placer un Etat parallèle dans les départements ministériels, qui couvrent leurs intérêts et protègent leurs affaires. On parle à ce niveau de « l’administration profonde ».
On peut citer aussi comme acteurs dans le « deep state » tunisien, les bailleurs de fonds ou les contrebandiers, qui ont pu aussi intégrer l’ARP. On peut aussi leur ajouter les syndicats, qui détiennent un pouvoir important dans les différentes structures du pays, et sont très actifs pour bloquer ou débloquer des situations ou des décisions.
Le « deep state » c’est bien, mais pas toujours :
Ces acteurs de l’Etat profond, sont chacun dans son rôle de défense d’intérêt. Ils sont même des acteurs incontournables de toutes démocraties. Mais lorsqu’ils procèdent à certaines pratiques complotistes ou parfois « mafieuses », ils deviennent une menace pour l’unité et la stabilité de l’Etat.
La fragilité du processus démocratique tunisien, et la non solidité des institutions de l’Etat, laissent qu’elles sont facilement transperçables.
On doit aussi avouer qu’il existe réellement un Etat profond en Tunisie, et que beaucoup d’intérêts de ces acteurs cités se croisent et font augmenter la pression sur les pouvoirs publics.
L’essentiel est de dénoncer certaines pratiques parallèles et informelles qui ne font qu’affaiblir le pays. L’Etat profond doit remonter à la surface.