Une économie « undécashable » !

C’est le slogan le plus utilisé par les différents gouvernements depuis des années : il faut décasher. Afin de venir à bout de l’économie informelle, il faut limiter l’utilisation du cash. Comme d’habitude en Tunisie, toute stratégie ne dépasse même pas la feuille sur laquelle elle est écrite. Les chiffres confirment une hausse importante des Billets et Monnaie en Circulation en Tunisie, atteignant un chiffre historique de 22578 MD au 16 Aout 2024. Les différentes mesures et  règlements pour limiter l’utilisation du cash n’ont pas abouti à leurs buts. Somme-nous devenu une économie « undecashable » ?
BMC : un niveau historique :
La hausse des BMC n’a pas ralenti depuis des années, passant d’un record à un autre. Les BMC au mois d’Aout ont atteint 22578 MD contre 5700 MD en 2010, soit une multiplication par 4. Cette hausse constante n’est pas synchronisée avec la croissance économique. En effet, durant la décennie 2011-2021, la croissance du PIB est de 0.58% contre 4.5% durant la décennie 2000-2010. Cette tendance à la hausse du niveau des BMC est aussi contraire à la tendance générale au niveau national et international. En effet, au moment du développement des paiements mobiles, l’apparition d’applications innovantes et la digitalisation des économies, notre économie devient de plus en plus une économie du « cash ». C’est un développement contre nature.
L’ex gouverneur de la Banque Centrale, Marouene Abassi avait déjà annoncé que la BCT travaille sur un projet de plateforme numérique et une stratégie coordonnée afin de limiter l’utilisation du cash. Il a même annoncé la création d’une commission chargée du dossier. Cette initiative vient dans le sillage de la réforme apportée par la loi des finances complémentaire de 2014 (article 16) et qui a limité la détention et l’utilisation du cash à 10.000 Dinars, et a annoncé sa baisse à 5000 dinars à partir de 2016.
Une autre réforme a été apportée en 2019. Selon l’article 45 de la loi des finances de 2019, et à partir du 1er juin 2019, le payement en cash des vente / achat de biens immobiliers, de fonds de commerce ou de véhicules dont le montant est égal ou dépasse les 5.000 dinars ne sera plus toléré. Les contrevenants, outre le fait que leurs opérations de cession peuvent être entravées par les administrations publiques, risquent une amende de 20% du montant payé avec un seuil minimal de 1.000 dinars.
Aveu d’échec du décashing :
Malgré que le décashing soit un point indispensable pour l’économie tunisienne, dont 40% est informelle, les différentes politiques ont échoué, ce qui rend notre économie « undecashable ».
A titre de comparaison, et selon le site « Merchant Machine », et avec 70% des paiements qui se font en cash, la Roumanie est le pays qui se base le plus sur le cash. La Norvège est le pays le plus décashé avec seulement 3% des transactions qui se font en liquide, même avec 32 ATM pour 1000 habitant, mais avec 100% de la population qui a un compte bancaire.
Dans le top 10 des pays qui ont les économies qui comptent le plus sur le cash, on retrouve des pays comme l’Egypte, le Maroc, le Kazakhstan, l’Ukraine, la Hongrie et les Philippines. La Tunisie ne figure même pas dans ce classement.
Il existe des difficultés énormes à décasher l’économie tunisienne et ce pour multiples raison :
  • Tous les gouvernements n’ont pas mis en place une véritable stratégie pour intégrer l’économie informelle dans le formel. L’informel se base principalement sur le cash dans tous ses transactions. Dans chaque loi des finances de petites mesurettes sont prises, mais on n’a jamais fait l’évaluation nécessaire. Tous les analystes et organismes internationaux s’accordent sur le fait que l’économie informelle varie entre 35 et 40%, contre une moyenne dans les pays de l’OCDE autour de 27%.
  • Plusieurs acteurs économiques ne préfèrent pas passer par des canaux digitaux ou formels pour réaliser leurs transactions parce qu’ils ont peur des poursuites fiscales.
  • La culture du consommateur tunisien qui opte le plus vers le cash car c’est plus tangible et c’est plus sur. On a constamment peur de ce qui est digital et qui n’est pas perceptible. Cette tendance n’est pas générale, mais concerne une grande majorité des tunisiens.
  • Plusieurs activités ne s’apprêtent pas aux objectifs du decashing tel que le commerce de bétail ou des voitures d’occasion…Les pratiques dans ces activités se basent sur le cash.
  • Les banques tunisiennes ne font aucun effort pour capter les épargnes des clients. On ne trouve aucune banque qui offre des produits qui encouragent à épargner et se contentent d’appliquer le taux de rendement de l’épargne habituel ou offrir des produits d’assurance vie qui se basent sur la mobilisation de l’argent pendant au moins huit ans. Il faut rappeler que le taux de pénétration de l’assurance en Tunisie n’est que de 3%.
  • La Tunisie a un taux de bancarisation très faible de 37% contre 43% dans la région MENA selon les chiffres de la Banque Mondiale. Une loi pour la lutte contre l’exclusion a déjà été approuvée par le gouvernement et étudiée au niveau de la commission parlementaire depuis le mois de Janvier 2024, mais n’est pas débattue en plénière jusqu’à présent. Une loi qui va certainement contribuer à l’amélioration du taux de bancarisation et l’éducation financière des citoyens.
  • Plusieurs banques ont mis en place leur application de paiement mobile dans le cadre de peur contribution à la stratégie nationale pour l’inclusion financière et le décashing, mais les clients semblent frileux à les utiliser. La solution qui a été développée par la Banque Centrale en 2023, et qui a voulu fédérer tous les établissements financiers, est aujourd’hui aux oubliettes.
 Après des lois, des mesures, des études et des centaines d’heures de réunions et de séminaire, il faut avouer, qu’en l’état actuel des choses, notre économie est undecashable.
Certains proposent de changer les billets de banques ce qui va obliger plusieurs acteurs à passer les banques. Une mesure qui nécessite un investissement important. Le risque de revenir au point de départ est plus que probable. L’important est de travailler sur le changement des mentalités, et la mise en place de mesures contraignantes.

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