Par L’Expert Journal
À la lecture des états financiers consolidés de la Banque de Tunisie et des Émirats (BTE) arrêtés au 31 décembre 2024, une évidence s’impose : l’institution bancaire navigue en eaux troubles. Derrière les chiffres et la terminologie comptable se cachent des signaux alarmants sur sa santé financière, son respect des normes réglementaires et, plus grave encore, sa capacité à continuer ses activités.
Un capital insuffisant… en infraction à la loi
Selon le rapport des commissaires aux comptes, la BTE ne respecte plus l’article 74 de la loi bancaire n°2016-48. Ses fonds propres au 31/12/2024 ne couvrent même pas le capital minimum légal requis de 50 millions de dinars. Pire encore, ses fonds propres nets de base sont négatifs à hauteur de -3,02 millions de dinars, contre les seuils réglementaires de 10 % pour le ratio de solvabilité et 7 % pour le Tier I. La banque affiche des ratios respectifs de -0,29 %, une situation rare et gravement compromettante pour une banque de détail.
Des pertes chroniques et une érosion du capital
Pour la deuxième année consécutive, la BTE enregistre un résultat net négatif de 26 millions de dinars (après une perte de 33,6 MD en 2023). En deux ans, ce sont près de 60 millions de dinars de pertes qui ont grignoté son capital, qui chute à à peine 42,2 millions de dinars de capitaux propres part du groupe.
Suspens bancaires non apurés : de l’opacité en caisse
Autre zone d’ombre inquiétante : les rapprochements de comptes avec la Banque Centrale de Tunisie révèlent des « suspens bancaires non apurés » pour un total de plus de 11 millions de dinars d’opérations non justifiées datant parfois d’avant 2023. Il est impossible d’exclure que certaines de ces opérations soient non autorisées, ce qui jette un doute sérieux sur les pratiques internes de contrôle.
Provisions incomplètes, absence de suivi des garanties
La banque a fait l’objet d’un contrôle social par la CNSS, qui a révélé un redressement de 723 KDT, alors que seules 228 KDT ont été provisionnées. De plus, la BTE ne dispose pas d’un inventaire fiable de ses garanties reçues, ni d’un mécanisme de réévaluation régulière, ce qui compromet la transparence de ses engagements hors bilan.
Des mesures de sauvetage tardives ?
Face à ce tableau noir, le Conseil d’administration a convoqué une assemblée générale extraordinaire pour le 30 avril 2025, avec à l’ordre du jour une augmentation de capital. Mais cette opération suffira-t-elle à éteindre l’incendie ?
La BTE a certes engagé un audit complet et lancé un nouveau business plan. Toutefois, en l’absence d’investisseurs prêts à recapitaliser massivement l’institution et d’un changement radical de gouvernance, le doute persiste sur la pérennité de la banque.
Dans un secteur bancaire tunisien déjà sous pression, la situation de la BTE est révélatrice d’un modèle épuisé, où le pilotage stratégique semble avoir échoué à anticiper les exigences réglementaires et la rentabilité durable. Pour les clients, les partenaires et les régulateurs, la question n’est plus de savoir si la BTE doit être sauvée, mais comment — et à quel coût.