Le système de compensation en Tunisie devient de plus en plus lourd à gérer et à supporter. En Tunisie on subventionne certains produits alimentaires, les hydrocarbures, le cahier scolaire, le transport, et les médicaments. La charge globale de la compensation augmente chaque année comme une boule de neige et devient insoutenable pour le budget de l’Etat. Le plus dur est que ce système destiné pour les populations les plus vulnérables n’a pas atteint son objectif en les protégeant et continue de profiter en grande partie à une population aisée. Des idées et des projets pour un meilleur ciblage sont connus par tous les décideurs et pourtant rien n’a été fait pour améliorer ce système. Mais peut-on continuer ainsi ?
1/5 du budget pour la subvention :
Selon les prévisions du gouvernement, le déficit budgétaire en 2025 sera de 11%. Les dépenses de subvention représentent plus de 19.4% du budget de l’Etat et 6.3% du PIB. Continuer avec ce système est un véritable « suicide budgétaire ». Amorcer une réforme sérieuse et courageuse permettrait certainement de réduire la pression sur les finances publiques, limiter les dérapages dans le système, rationaliser la consommation et mieux cibler les populations nécessiteuses. Selon une étude de la Banque Mondiale et de l’INS, seulement 12% des dépenses de subvention profitent aux personnes qui le méritent.
Le président de la République l’a toujours rappelé : il n’est pas question de toucher au système de subvention actuel, et l’Etat doit jouer son rôle social. Des ministres ont même été limogés rien qu’en déclarant l’intention du gouvernement à réformer le système de subvention. Les négociations avec le FMI sur un nouveau prêt, ont même été interrompues à cause d’exigences de réformer le système de subvention « imposées » par l’institution.
Or, il est important d’éclairer les décideurs sur les enjeux d’une telle réforme. En effet, si la réforme est engagée dans le sens d’un meilleur ciblage, l’Etat jouera pleinement et efficacement son rôle social. Les personnes vulnérables, premiers bénéficiaires du système, profiteront encore mieux.
Maintenir le système actuel, ne fera qu’aggraver la situation des finances publiques et l’Etat ne pourra pas intervenir sur le plan social, au contraire, elle sera obligée d’appauvrir d’autres couches sociales en augmentant les impôts, et en réduisant les dépenses publiques.
Le mécanisme de subvention, qui a été considéré dans les années 70 comme un remède contre la pauvreté, est devenu actuellement un abcès grave et un gouffre financier abyssal. Le plus dur est que ces dépenses augmentent considérablement, sous l’effet de la conjoncture internationale, la hausse des prix dans les bourses mondiales, les cours du brut très fluctuants, et la forte dépréciation du dinar tunisien. Pour 2025, la hausse du budget alloué à la compensation alimentaire est de 5.85%.
Selon le projet de budget, un montant de 11,5 milliards de dinars est réservé aux dépenses de subvention, répartis comme suit : 8 milliards de dinars seront dirigés vers les hydrocarbures, tandis que 3,8 milliards de dinars pour la caisse générale de compensation. Pour avoir une idée sur la montée vertigineuse des dépenses de compensation ces dernières années on signale que le total des dépenses était de 1.5 milliards de dinars en 2010, dont 730 millions de dinars pour les produits de base et 550 millions de dinars pour le carburant. Les dépenses de compensation ne dépassaient pas 2.6% du PIB.
Les 3.8 milliards réservés à la compensation des produits de base, ne couvrent pas entièrement les besoins, puisque des retards de paiement existent depuis des années. La répartition de cette manne financière est comme suit :
-
Subvention des céréales : 2,674 milliards de dinars (1.8 milliards de dinars en 2021)
-
Subvention de l’huile végétale : 375 millions de dinars (290 millions de dinars en 2021)
-
Subvention du lait : 524 millions de dinars (205 millions de dinars en 2021)
-
Subvention des pâtes et du couscous : 190 millions de dinars
-
Subvention du sucre : 10 millions de dinars au profit de l’Office du Commerce, et qui ne couvrent pas réellement les charges subies par cette entreprise publique. En effet, les besoins réels dépassent les 60 millions de dinars.
-
Subvention du papier scolaire : 28 millions de dinars (5 millions de dinars en 2021).
Le système actuel de compensation profite malheureusement aux contrebandiers, à certains métiers tel que les pâtisseries, les restaurants, les cafés, les unités de fabrication de pain traditionnels (tabouna, mlewi,…). Il profite aussi à des catégories sociales aisées qui consomment le carburant subventionné, aux touristes, et aux étrangers.
Pire encore, les industriels qui fonctionnent avec le système de compensation (les producteurs de lait, les boulanges, les unités d’emballage d’huile végétale,…) ne sont pas payés à temps et la caisse de compensation accuse un retard énorme. Cette situation a affecté nettement la trésorerie de certains industriels qui jouent actuellement le rôle de la caisse de compensation pour l’Etat.
Une injustice qui peut être réparée :
La situation actuelle des finances publiques, ainsi que le système défectueux de la compensation, imposent une réforme de fond qui doit être menée par des techniciens et sans aucune considération politique ou populiste. Plusieurs pays l’ont déjà fait, et ils ont réussi leurs démarches.
En Tunisie, le sujet est sur la table depuis des dizaines d’années, sans qu’aucune décision courageuse ne soit prise. Un gain de temps énorme et une perte d’argent encore plus grave. Un stand-by dangereux, et un immobilisme complice.
Certains analystes critiquent l’action du gouvernement en affirmant que l’Etat est en train de réduire les dépenses de compensation en agissant sur l’offre. C’est-à-dire réduire ces achats de céréales, de sucre, de café, d’huile végétale,…..ce qui a crée pendant des mois des pénuries dans plusieurs produits de bases avec des fils d’attente devant les boulangeries, les grandes surfaces, les marchands de café,….Or cette affirmation est contredite par le niveau d’importation des entreprises publiques qui n’a pas chuté. Le problème est principalement du aux circuits de distribution et à certains commerçants qui spéculent sur le marché.
En 2018, on croyait déjà que la machine de la réforme du système de compensation est mise en route. Le gouvernement Chahed avait présenté un projet de ciblage progressif basé sur le transfert monétaire direct aux personnes nécessiteuses. Une unité de gestion du projet a même été créée au sein du ministère des affaires sociales, afin d’affiner la base de données des bénéficiaires. On a même commencé à travailler sur la plateforme qui sera mise en place pour l’inscription des personnes voulant bénéficier des transferts monétaires, en remplacement aux montants de la subvention.
Un calendrier a été établi, avec un échéancier des produits qui ne seront plus subventionnés.
Tout un travail qui a été arrêté à cause du Covid-19 et ensuite pour des raisons de nouvelle politique.
Ce projet peut être réanimé afin d’apporter la solution adéquate au poids de la compensation sur les finances publiques.
La révision du système de subvention aux hydrocarbures a à son tour était stoppée. En effet, un système de révision mensuelle des prix des hydrocarbures basé sur le cours du brut à l’échelle internationale et selon une formule mathématiques, a déjà était mis en place et appliqué. Mais depuis 2021, on n’a pas eu recours à ce système.
La progressivité dans l’introduction de la réforme du système de subvention en Tunisie est nécessaire. On ne peut pas changer des habitudes instaurées depuis les années 70, en quelques mois.
Un grand effort de sensibilisation, de communication, de vulgarisation et de discussion est nécessaire, afin de garantir la réussite du projet de réforme. Il est important d’expliquer les enjeux financiers liés au système actuel, les niveaux de gaspillage, et l’injustice au niveau des bénéficiaires.
Au stade actuel, et afin de limite l’impact de « cette hémorragie », le gouvernement doit travailler sur la digitalisation des circuits de distribution des produits compensés afin de limiter les dérapages. Plusieurs ministres ont déjà exposé ce projet sans que de véritables actions soient mises en œuvre.
Le gouvernement doit aussi travailler sur la migration progressive vers la réalité des prix des produits subventionnés. Une hausse progressive dans le prix de certains produits tel que l’huile végétale et le sucre, est envisageable à ce niveau.
En parallèle, le ministère des affaires sociales, doit continuer son travail pour affiner la base de données des personnes nécessiteuses.
Enfin, il est important de comprendre et de faire comprendre, que les institutions financières internationales ne nous obligent pas à lever la compensation d’une manière brusque et brutale, mais nous encouragent à une levée progressive de la subvention afin d’atteindre la réalité des prix, sans toucher aux personnes vulnérables.